vendredi 5 mars 2010

Le Loup et l'agneau, La Fontaine

Introduction :
Fables, écrites en plusieurs livres. Ici, Livre I, fable 10.
La Fontaine, XVIIème siècle. Ses fables ont toujours plusieurs degrés de lecture (c'est ce qui en fait la richesse).
Le Loup et l'agneau : La morale a plusieurs niveaux de lecture :
« La raison » = la cause ? la thèse ? la vérité ? Le bon sens ? la sagesse ?
« Plus fort » = sur un plan physique ? Intellectuel ? Par autorité ?
« La meilleure » = d'un point de vue moral (c'est la mieux) ? Economique (la plus efficace) ?

La morale peut donc avoir plusieurs sens :
"l'argument donné par le plus fort est toujours celui qui l'emporte"
"le bon sens du plus fort est toujours le plus moral"
"la faculté mentale du plus fort est toujours la plus morale"


=> il faut lire le récit pour comprendre ce que signifie cette morale
(ça peut être une problématique d'analyse : quel sens donner à la morale ou comment comprendre la morale ?)

Une histoire facile à comprendre, comme un conte de fées :
Situation initiale : l’agneau boit (V. 1)
Elément perturbateur : Loup survient (V. 2)
Péripétie : Dialogue (V. 7 à 26)
Résolution : Le loup l’emporte (V. 27, 28)
Situation finale : le loup le mange (V. 28, 29)


V.1 Agneau = Blanc - Petit – doux – inoffensif (voir les contes de fées)
= connotation biblique => sacrifice
Associé au mot « pure » dans « onde pure »
Octosyllabes amples, qui coulent comme l'eau.

V. 2 Loup = le mal (voir les contes de fées où le loup est méchant)
« survient »= présent dans un texte au passé = présent de narration
= brusquerie de l’arrivé
« à jeun » renforce sa faim, sa dangerosité
« qui cherchait aventure » = personnalité querelleuse (n'a pas seulement faim, auquel cas il serait excusable, mais c'est un fauteur de trouble)

V.7 = Début du procès :
Attaque verbale du loup qui marque sa puissance :
*« Qui te rendi si hardi … » = Question rhétorique
* tutoiement
* s’approprie la rivière
* « plein de rage » = lié à la faim (+ discrète présence du narrateur qui porte un jugement de valeur sur le loup « plein de rage »)
* « Tu seras châtié » = le loup donne tout de suite le verdict du procès ! = injustice, puisqu'il n’attend même pas la réponse de l’agneau.
* Emploi du futur « seras » = caractère inévitable du châtiment … = Tragédie ! (une tragédie : quand on sait que l'un des personnages va mourir, qu'il n'y peut rien, c'est écrit d'avance ...)
* Le loup est à la fois juge et partie, donc jugement faussé dès le départ
=> Peu de raison, mais de la mauvaise foi de la part du loup.

V.10 à 17 : Soumission de l’agneau :
« Sire » + « Sa Majesté »
S'adresse au loup à la 3ème personne « Elle »
Emploi du subjonctif « qu'elle considère », plus doux que impératif
«  sa boisson » // «  mon breuvage » v.7 => l'agneau reconnaît prudemment que la rivière appartient au loup !

Esprit rationnel et logique de l'agneau (essaie de démontrer son innocence)
- « 20 pas » (= faits vérifiables, précis, mathématiques)
-Discours organisé : intro/conclu + connecteurs logiques (« mais »/ « par conséquent »)

V.18 : mauvaise foi du loup : « Tu la troubles » = affirme sans argument et sans entendre les arguments irréfutables de l'agneau
« bête cruelle » : le narrateur porte encore un jugement sur le loup + prolepse (annonce le dénouement, où le loup mangera l'agneau), ce qui n'est pas une surprise, le lecteur l'aura bien compris, le loup n'a pas besoin d'argumenter pour agir comme il lui plaît.) // « animal plein de rage »
V.19: Changement de chef d'accusation (« et je sais que ») sans citer ses sources d'information : avant, le chef d'accusation était : l'agneau trouble l'eau ; comme cet argument a été détruit par l'agneau, le loup en trouve un autre : « de moi tu médis l'an passé ».

V.20 : Réponse de l'agneau avec une question rhétorique (= supériorité intellectuelle de l'agneau) + une réfutation de l'argument du loup.
Insistance sur la jeunesse de l’agneau (« je tette encor »)=> cruauté du loup

V. 22 : Fausse démonstration logique du loup (« si », « donc ») + accusation totalement injuste : l'agneau devrait porter la responsabilité de la faute de son frère ! Mais est-on responsable des actions de son frère ? Y a-t-il une responsabilité familiale ?!

V.23 : réponse très courte de l’agneau (tragédie encore : il sait que ça ne sert plus à rien de se défendre), un demi vers : parle de moins en moins. Sait que le loup n'écoute pas ses arguments ; que la mauvaise foi préside au dialogue.mais argument irréfutable !

V.23 : Encore mauvaise foi du loup, sous couvert de logique (« donc », « car »)
« Vous » , « vos » + « des tiens » = met tout le monde dans le même panier
Se pose en victime « vous ne m'épargnez guère » Mauvaise foi encore.
V.26 : « on » = rumeur ? Pseudo argument d'autorité où la rumeur fait office de vérité.
V.26 : « il faut que je me venge » : le loup montre qu'il défend son honneur (voir les duels dans lesquels des gentilhommes offensés défendaient leur honneur) => se fait passer pour un personnage de mérite …
V.27 : la forêt = lieu symbolique (voir les contes de fées) : lieu de sauvagerie, éloigné de toute humanité, sans aucun règle sociale.
Accentué par « au fond des »

« Le loup l'emporte » : polysémie du verbe « emporter » : 1) emporter quelque chose = le porter avec soi ; 2) l'emporter sur quelqu'un = gagner, être le plus fort ...

« sans autre forme de procès » : là encore, légère intrusion du narrateur qui constate la pauvreté et l'iniquité (l'injustice) du procès.

Conclusion: qu'apporte le récit à la morale ?
Il l'explique : la raison = la volonté ; le plus fort = le plus fort physiquement ; la meilleure = la plus efficace.

Attention : La Fontaine n'agrée pas (n'est pas d'accord avec) cette morale, il fait seulement un constat (on a vu qu'il condamnait le loup lorsqu'il le qualifie de « bête cruelle »).

La morale est souvent vue comme une satire de la justice (expéditive et inique).
Plus largement, elle dénonce toute forme d'abus de pouvoir (« le plus fort »), qui tenterait de se légitimer (de se donner « raison ») par des arguments.

On peut mettre cette morale en relation avec l'affaire Fouquet (1662) : voir ici pour des précisions (attention, évitez de dire que LF a écrit cette fable pour dénoncer la justice de l'affaire Fouquet ; il avait certainement cette affaire à l'esprit, mais cette fable a une portée beaucoup plus large).

Une question : pourquoi le loup éprouve-t-il le le besoin de justifier son acte ? Mauvaise conscience ?

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