samedi 6 mars 2010

Dom Juan, scène d'exposition (I,1)

(par Marion)

LA n°1 : La scène d'exposition :
I.L'éloge du tabac
1.les marques de l'éloge
2.les avantages du tabac
3.le tabac n'est qu'un symbole du plaisir / de la subversion
II.L'échange Gusman / Sganarelle
1.caractéristique d'une scène d'exposition
2.annonce l'intrigue
III.Le portrait de Dom Juan par Sganarelle
1.le portrait d'un monstre ?
2.Le portrait sous-jacent de Sganarelle
L'histoire se passe en Sicile. Dialogue entre Sganarelle, valet de Dom Juan, et Gusman, écuyer de Done Elvire.

1) La 1ère réplique est une tirade de Sganarelle
Double énonciation, Sganarelle s'adresse à Gusman et au public.
2 étapes dans cette réplique : 1) Eloge du tabac ; 2) Retour en arrière (analepse), sur Done Elvire et sa raison d'être ici.

* L'éloge du tabac :
Le tabac au XVIIème était parfois vu comme une plante médicinale, l'Eglise condamnait son usage.
Début In Media Res ( = dans le vif du sujet )

Première tirade étonnante, voire provocatrice (un peu comme si aujourd'hui, un dramaturge commençait par une tirade sur les bienfaits du cannabis !) = donne tout de suite le ton et le thème de la pièce : sur la subversion en général (= le fait de renverser les valeurs établies).

C'est un éloge car Sganarelle utilise des hyperboles : « il n'est rien d'égal au tabac » ; « c'est la passion ... » = exagération comique

Les bienfaits du tabac (les pseudo-arguments de Sganarelle) :
- pour la santé : « purge les cerveaux »
- pour la morale : «vertu », « honnêtes gens», « digne », « honneur »
- pour la sociabilité : «manière obligeante », « honnête homme », « monde »

Formule pontifiante (Sganarelle énonce une sorte de maxime avec du présent de vérité générale) : « Qui vit sans tabac, n'est pas digne de vivre »
= Le tabac est élevé à hauteur d'un dieu, il a toutes les vertus, nous rend meilleurs à tous points de vue.

La tirade éclaire la personnalité de Sganarelle : il semble imiter Don Juan :
- Evoque Aristote (philosophe de l'Antiquité) alors qu'il ne le connaît pas.
- Anachronisme (Aristote ne connaissait évidemment pas le tabac !)
- Fait semblant de s'y connaître en médecine «  Purge les cerveaux humains »,
- Parle de mondanité « Honnête homme »
- Contradiction entre les gestes et la parole : il dit partager le tabac mais ne donne rien.
- Démonstration qui se veut rigoureuse : « Ne voyez-vous pas bien ... » = question rhétorique ; connecteurs logiques (« quoique » ; « non seulement … mais encore » ; « tant il est vrai que » ; arguments (absurdes) + thèse.
=un personnage drôle, qui sera, tout au long de la pièce, celui qui apportera de la légèreté, qui permettra de relâcher la tension.

Le « tabac » n'est probablement que le symbole d'autre chose : ce qui est interdit par l'Eglise ? Le plaisir ?
On peut remplacer dans cette tirade « le tabac » par « l'amour ». La tirade prend un tout autre sens et permet de faire une vraie scène d'exposition. Cette tirade ( remplacée avec le mot amour) peut faire l'éloge du libertinage.
(Dévots : Quelqu'un qui pratique sa religion au maximum, qui fait tout bien comme la religion lui indique ; Molière a la volonté de les provoquer. En lien avec le reste de la pièce)

* Analepse : retour sur Done Elvire

Sans transition, Sganarelle évoque Done Elvire ; en quelques lignes, l'intrigue est nouée :
on a les personnages (Don Elvire + « mon maître »), le thème (« mal payée de son amour »), les raisons de la présence d'Elvire ici (« s'est mise en campagne après nous ») + une prolepse (Sganarelle connaît parfaitement la suite qui va être donnée à l'histoire).


2) Dialogue entre Gusman et Sganarelle :

On y apprend les éléments traditionnels d'une scène d'exposition :
Relation passée entre Don Juan et Done Elvire.
Départ de Don Juan / Poursuite de Done Elvire.
Done Elvire amoureuse / Don Juan ne l'est probablement plus.
Done Elvire se désignait à rentrer au couvent mais Don Juan a été tellement persuasif qu'elle a préféré Don Juan = 1ère offense à la religion

On découvre le nœud de l'intrigue : «  Pourquoi Don Juan fait autant d'efforts pour finalement fuir? »

Sganarelle défend Don Juan = « Jeune encore ».

Et pourtant, Sganarelle sous-entend que Don Juan est pire que tout ce qu'on peut imaginer.
Remarque : Sganarelle n'utilise plus un langage aussi soutenu que dans sa 1ère réplique. Beaucoup plus familier : « à vue de pays » ; « le train des choses » …
Répétition du superlatif « Tant » par Gusman + énumération des stratégies de séduction qu'a utilisées Don Juan = rend d'autant plus ignoble (ou incompréhensible) son abondon ensuite.

3) Portrait de Dom Juan par Sganarelle
Portrait péjoratif :

- Sganarelle le désigne par « le pèlerin » : assez péjoratif (un pèlerin = homme qui marche jusqu'à un lieu saint, qui effectue un voyage spirituel et religieux). Le mot est surtout employé par Sganarelle pour désigner un maître qui fuit toujours, qui est toujours sur les routes – mais bien sûr, sans aucune connotation religieuse.
Connaissant Don Juan, on peut, nous, lecteur, se demander si effectivement, Don Juan n'est pas en quête spirituelle de quelque chose (on a vu, par exemple, qu'il est en quête de signes de Dieu). Mais, évidemment, Sganarelle ne raisonne pas ainsi.
- L'énumération mêle champ lexical de l'animalité (« chien, enragé, bête brute, pourceau »), celui de la religion (« diable, hérétique, Ciel, Enfer ») et celui de la débauche (« scélérat, Epicure, Sardanapale »).
= Don Juan, d'après Sganarelle mènerait une vie contraire à l'homme, contraire à la religion, contraire à la morale, et même contraire au pays (cf « Turc »)!
- Don Juan choisit n'importe qui comme conquête, en dehors de toute considération sociale (bougeoise, paysane), morale (« dame, demoiselle », c'est à dire femme mariée ou non), ou même humaine (« il aurait encore épousé toi, son chien et son chat »)
- Métaphore présentant les femmes comme des proies prises au « piège » du « mariage ». Le mariage n'est qu'un piège, il perd tout caractère sacré = diabolise d'autant plus Don Juan, qui non seulement chasse les femmes, mais en plus se sert d'un moyen religieux pour le faire.
- Hyperbole encore pour accentuer le nombre de ses conquêtes : « ce serait un chapitre durer jusques au soir ».
- La tirade de Sganarelle fait en même temps office de didascalie pour montrer que Gusman est effaré par ce qu'il apprend : «tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours ».

- En même temps, cette tirade parachève le portrait de Sganarelle :
x Style encore un peu pompeux : Sganarelle emploie du Latin, qu'il ne connaît probablement pas (« inter nos » = entre nous, en secret)
x Mais par moments langage relâché (« Suffit qu'il faut que ... »)
x Crainte ou fascination envers Don Juan ?
o Crainte : « inter nos », «crainte », « bride mes sentiments » « me réduit » + fin de la tirade qui montre qu'il craint son maître
o Fascination : nombreuses hyperboles + longue énumération décrivant Dom Juan comme une incarnation du Mal + « grand seigneur, méchant homme ».
x Peu instruit : mélange croyances religieuse et croyances superstitieuses (« ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou ») + « Turcs » représentent les barbares (pour Sganarelle, le Turc est forcément un homme mauvais) = effet comique
x Bizarrement visionnaire, il prédit ce qui arrivera à Don Juan dans le dénouement : « il faut que le courroux du Ciel l’accable quelque jour » = c'est dans la logique des choses.

Conclusion : Scène d'exposition relativement classique, puisqu'elle présente à la fois l'intrigue et les personnages (on a d'ailleurs très envie de connaître ce Don Juan si affreusement dépeint), mais en même temps très provocante avec l'éloge du tabac.
Le ton est donné : tout est fait pour choquer, le public attend de voir cet horrible personnage qu'est Don Juan.



Personnalité des deux personnages principaux :

Sganarelle
- Hypocrite
- Prétentieux
- Lâche
- Fasciné par Don Juan
- Ambigu dans ses sentiments vis à vis de Don Juan
- Peu instruit ( croyances populaires )
- Visionnaire
- Confus, mélange tout

Dom Juan :
- Infidèle aux femmes
- Impie
- Irrespectueux de tout engagement
- Ne respecte pas la parole donnée, même devant dieu
- Epicurien
- Indifférence envers les sentiments (les siens + ceux de ses conquêtes)

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