mardi 25 mai 2010

Les textes complémentaires de la séquence :

Texte complémentaire au discours du vieillard tahitien de Diderot : le début de la seconde partie du Discours sur l'inégalité de Rousseau.

Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. Mais il y a grande apparence, qu’alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient ; car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain. Il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l’industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme de l’état de nature. Reprenons donc les choses de plus haut et tâchons de rassembler sous un seul point de vue cette lente succession d’événements et de connaissances, dans leur ordre le plus naturel.

Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements des inégalités parmi les hommes, seconde partie.


Histoire des deux Indes, Diderot (texte complémentaire possible à "De l'esclavage des Nègres" de Montesquieu)

Parue en 1770, sans nom d’auteur, augmentée de plusieurs éditions jusqu’en 1780, l’Histoire des deux Indes est une œuvre considérable (10 volumes) consacrée à l’expansion coloniale de l’Europe au XVIIIe siècle. Attribuée à l’abbé Raynal, c’est en fait un ouvrage collectif. Diderot y collabora, et rédigea probablement les pages consacrées à l’esclavage.

- Mais les nègres sont une espèce d’hommes nés pour l’esclavage. Ils sont bornés, fourbes, méchants ; ils conviennent eux-mêmes de la supériorité de notre intelligence, et reconnaissent presque la justice de notre empire.
- Les nègres sont bornés, parce que l’esclavage brise tous les ressorts de l’âme. Ils sont méchants, pas assez avec vous. Ils sont fourbes, parce qu’on ne doit pas la vérité à ses tyrans. Ils reconnaissent la supériorité de notre esprit, parce que nous avons perpétué leur ignorance ; la justice de notre empire, parce que nous avons abusé de leur faiblesse. Dans l’impossibilité de maintenir notre supériorité par la force, une criminelle politique s’est rejetée sur la ruse. Vous êtes presque parvenus à leur persuader qu’ils étaient une espèce singulière, née pour l’abjection et la dépendance, pour le travail et le châtiment. Vous n’avez rien négligé pour dégrader ces malheureux, et vous leur reprochez ensuite d’être vils.
- Mais ces nègres étaient nés esclaves.
- A qui, barbares, ferez-vous croire qu’un homme peut-être la propriété d’un souverain ; un fils, la propriété d’un père ; une femme, la propriété d’un mari ; un domestique, la propriété d’un maître ; un nègre, la propriété d’un colon ? Etre superbe et dédaigneux qui méconnais tes frères, ne verras-tu jamais que ce mépris rejaillit sur toi ? […]
- Mais l’esclave a voulu se vendre. S’il s’appartient à lui-même, il a le droit de disposer de lui. S’il est maître de sa vie, pourquoi ne le serait-il pas de sa liberté ? C’est à lui à se bien apprécier. C’est à lui à stipuler ce qu’il croit valoir. Celui dont il aura reçu le prix convenu l’aura légitimement acquis.
- L’homme n’a pas le droit de se vendre, parce qu’il n’a pas celui d’accéder à tout ce qu’un maître injuste, violent, dépravé pourrait exiger de lui. Il appartient à son premier maître, Dieu, dont il n’est jamais affranchi. Celui qui se vend fait avec son acquéreur un pacte illusoire : car il perd la valeur de lui-même. Au moment qu’il la touche, lui et son argent rentrent dans la possession de celui qui l’achète. Que possède celui qui a renoncé à toute possession ? Que peut avoir à soi, celui qui s’est soumis à ne rien avoir ? Pas même de la vertu, pas même de l’honnêteté, pas même une volonté. Celui qui s’est réduit à la condition d’une arme meurtrière, est un fou et non pas un esclave. L’homme peut vendre sa vie, comme le soldat ; mais il n’en peut consentir l’abus, comme l’esclave : et c’est la différence de ces deux états.


"Qu'est-ce que les Lumières ?" Kant

Kant publie plusieurs articles de 1784 à 1786, dans lesquels il répond à la question « Qu’est ce que les Lumières ? ». Peu enclin à l’action collective et politique c’est dans l’exercice individuel de la raison critique, libérée des pouvoirs de la tradition, qu’il voit le progrès essentiel dû aux Lumières.

"Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! (ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières.
La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchit depuis longtemps d’une direction étrangère, restent cependant volontiers leur vie durant, mineurs, et qu’il soit si facile à d’autres de se poser en tuteurs des premiers. Il est si aisé d’être mineur! Si j'ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur qui nie tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc.. je n'ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c’est une chose pénible, c’est ce à quoi s’emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d’exercer une haute direction de l’humanité. Après avoir rendu bien sot leur bétail, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n’aient pas la permission d’oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace, si elles essaient de s’aventurer seules au-dehors. Or ce danger n’est vraiment pas si grand; car, elles apprendraient bien enfin, après quelques chutes, à marcher; mais un accident de cette sorte rend néanmoins timide, et la frayeur qui en résulte détourne ordinairement d’en refaire l’essai. Il est donc difficile pour chaque individu pris isolément de sortir de la minorité, qui est presque devenue pour lui nature. "

Emmanuel Kant, Qu’est ce que les lumières ?, 1784

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