« Le Chien et le cheval », chap. 3 de Zadig de Voltaire (1748)
(les n° de lignes renvoient à l'édition Librio)
de « Le Grand Veneur et le Premier Eunuque » à « ne point dire ce qu'il avait vu ».
I. Un discours sage et éclairé :
Zadig se montre très convaincant :
A. Le discours est organisé
- Les marques de l'oralité :
*la longue apostrophe du début (l. 13 à 15) dont on verra l'ironie après.
*Le jeu des pronoms (« je », « vous »)
*le présentatif « voilà »
- L'organisation du discours est rigoureuse :
*un exorde (capte l'attention par l'apostrophe) = toute l'apostrophe du début jusqu'à « voici ce qui m'est arrivé »
*une narratio (l'exposé des faits, le raisonnement) = tout le reste de son discours
*… pas de péroraison (ou conclusion avec un registre pathétique) => Zadig n'est pas dans la persuasion (il ne cherche pas à persuader … quoique : voir plus bas), mais dans la conviction.
B. La démonstration est quasiment scientifique :
- Zadig a la démarche d'un enquêteur (comme Sherlock Holmes) grâce son observation minutieuse de la nature (« qui lui découvrait mille différences là où les autres hommes ne voient rien que l'uniformité ») : « j'ai vu » … « j'ai jugé » … « j'ai remarqué » … « j'ai compris » ..(verbes de perception, de déduction, de compréhension)
- - Ses explications sont précises :
*précision du lieu l. 19-20
*Précision de vocabulaire, de la description : utilisation d'adjectifs qualificatifs (« léger », « long ») et de subordonnées relatives (qui apportent une précision)
*des mesures précises, mathématiques : « égale distance », « sept pieds de large », « trois pieds et demi », « cinq pieds de haut », « 23 carats », « onze deniers de fin » …
*des connecteurs logiques (conséquence, de cause) : « puisque qu' », « ainsi », « car »
*registre didactique : zadig explique très précisémment comment il va de l'observation à la conclusion = raisonnement inductif
C. Le portrait d'un homme sage
- il est admiré même par ses accusateurs, ses ennemis : « tous les juges admirèrent » l.53
- Formule hyperbolique : « on ne parlait que de Zadig » l.55 => insite sur sa renommée
- Gradation : antichambre, chambre, cabinet l.55-56 => sa renommée est telle qu'elle envahit l'espace le plus intime de la vie du Roi.
- Le Roi intervient en sa faveur l.58
- champ lexical de l'intelligence et de la sagesse : « profond et subtil discernement », « sorcier », « trop savant »
- Pour finir, Zadig tire un enseignement de toute cette aventure (ce qui pourrait illustrer la théorie de Voltaire selon laquelle de tout Mal nait un Bien : de cette fâcheuse aventure naît une morale) : « Zadig vit... et se promit bien... » l.65-66.
II. La critique de la justice :
A. La Justice est expéditive et inique
- Le chef d'accusation est absurde : Zadig condamné d'abord parce qu'il dit qu'il n'a pas vu (l.9) puis parce qu'il ne dit pas qu'il a vu (juste après l'extrait étudié) !
- Des juges qui accusent sans preuve : « ne doutèrent pas que » l.1 ; « l'assemblée du grand desterham qui le condamna » l.4
- Une Justice expéditive : une seule phrase, l.3, qui montre que Zadig est conduit devant le Juge (le Grand Desterham) puis condamné dans la foulée.
- Une justice inique (= injuste) : disproportion entre le délit et la condamnation : avoir volé un cheval et une chienne = knout + exil en Sibérie / « il n'avait point vu ce qu'il avait vu » l.59 = 400 onces d'or / « il avait regardé par la fenêtre » = 500 onces d'or !
- Pas de présomption d'innocence : « d'abord payer … après quoi ... plaider sa cause » l. 60-61. Or en France, on est présummé innocent depuis … 1789, soit 39 ans APRES l'édition de Zadig !
B. La Justice est lourde (dans tous les sens du terme !)
- Les titres honorifiques des personnes qui condamnent Zadig sont tous précédés d'adjectifs de grandeur => ils se prennent eux-mêmes pour des personnes importantes : « Grand Desterham », « Grand Veneur », « Premier Eunuque »
- Enumération l.59-60 : Greffiers, huissiers, procureurs => beaucoup de monde se déplace
- « en grand appareil » l. 60 => faste et solennité du déplacement (en langage familier, on dirait qu'ils en mettent plein la vue)
- dans la longue apostrophe de Zadig : « vous qui avez la pesanteur du plomb » => métaphore qui insite sur le côté lourd, borné, maladroit, bête...
C. Les juges sont vénaux (= ils ne sont intéressés que par l'argent)
- Des juges sadiques : « furent dans la douloureuse nécessité de réformer leur arrêt » (= de revenir sur la condamnation prononcée à l'encontre de Zadig)
- Des juges vénaux (= intéressés uniquement par l'argent) : les amendes à payer + on le rembourse de son amende de 400 onces d'or en en retenant « seulement » (adverbe ironique) 398 pour les frais de justice ! Tout le cérémonial du remboursement est comique et ironique.
- Cette dénonciation de la justice est visible à travers l'apostrophe de Zadig, au début de son discours : chaque métaphore peut être analysée à double sens (= ironie de Voltaire). C'est aussi ce qui permet de nuancer l'idée selon laquelle Zadig n'essaie pas de persuader ; en réalité, il flatte ses juges :
* Etoiles de justice = brillant comme la justice / loin de toute justice
* Abîme de science = une science très profonde / une science creuse
* Miroirs de vérité = reflète la vérité / à l'opposé de la vérité
* qui avez la pesanteur du plomb … = votre parole a du poids / vous êtes maladroits, bornés
* … la dureté du fer ...= durs et justes / cruels, sadiques
* … l'éclat du diamant … = vous brillez / vous êtes corrompus
* Et beaucoup d'affinité avec l'or = même chose que le diamant.
Ccl) Voltaire, par l'ironie, dénonce une justice inique, cruelle et corrompue.
On en apprend un peu plus sur Zadig (logique, réfléchi, éclairé), et lui-même en apprend un peu plus sur le système de son pays ...
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