« Les animaux malades de la peste », Fablesde Jean de La Fontaine, 1678.
Jean de la Fontaine est un fabuliste classique, connu principalement pour ses Fables, recueil de douze livres, rédigés sur plus de vingt ans, entre 1768 et 1794. A travers cette oeuvre, le moraliste a dépeint la société de son temps et les vices des hommes. Marqué par l'arrestation de son ami et protecteur Fouquet en 1661, il dénonce notamment les insuffisances de la justice de son temps à travers "Les animaux malades de la Peste", première fable du livre VII : dans cet apologue, les animaux cherchent une victime expiatoire censée les délivrer de la Peste, et sacrifient le plus innocent d'entre eux. Quelles critiques ce récit tragique révèle-t-il ? C'est la question à laquelle nous répondrons, en montrant les ravages de la peste, pour aborder ensuite la satire de la vie à la Cour et enfin la critique de l'absolutisme et de la Justice du XVIIè siècle.
- Mise en scène d'une tragédie
A) Description des ravages de la peste
- « mal » est répété aux vers 1 et 2 => insistance
- le narrateur ne précise qu’il ne s’agit de la peste qu’au vers 4 => effet d’attente.
- Champ lexical du malheur et de la mort : "terreur", "guerre", "mouraient", "frappés", "mourante" => la Peste sème la mort et la peur.
- Métaphore du vers 5: « enrichir l’Achéron » + oxymore : « mourante vie » au vers 9 + chiasme du vers 7 : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » = > caractère implacable et endémique du fléau.
- Aux vers 8, 10, 11, 14, on peut noter une abondance de négations devant un champ lexical des plaisirs de la vie => les animaux n’ont même plus le goût de vivre, de manger, de chasser, d’aimer,
- La personnification de la Peste : « Faisait aux animaux la guerre » => fait ressentir davantage la brutalité de la peste. La peste est comme un ennemi envoyé par le ciel pour exterminer la population.
B) La Peste est une punition des dieux
- Champ lexical de la culpabilité : « péchés» (v.17et 37), « le plus coupable » (v.18 et 33), « crime» (v.3 et 60), « d’où venait tout leur mal » (v. 58), « expier son forfait » (v.62)
- Champ lexical de la justice : « s’accuse », « selon toute justice » (v. 31-32), « je n’en avais nul droit » (v.54), « fut jugée » (v.59).
- Champ lexical de la divinité: « le ciel» (v.2), répété v. 16, « l'Achéron» (v.5), « céleste courroux»
- Polysémie du mot "mal" : maladie (1er sens dans la fable) ou faute, mal contraire au bien (sens utlisé par le lion) : La Fontaine dénonce la superstition.
- Au départ, le verbe « se sacrifier » est à la forme pronominale (v. 19 : « se sacrifie », de même v.30 : « je me dévouerai ») => sacrifice volontaire.
- Mais ensuite le verbe « dévouer » devient transitif : « il fallait dévouer ce maudit animal » (v.57) => Ce n’est donc pas un véritable sacrifice. L’âne ne se sacrifie pas, ilest sacrifié, il est assassiné.
- Une satire de la Cour et des courtisans
A) Des règles marquées et connues de tous
- Ordre des prises de parole correspond à la hiérarchie sociale : d’abord le roi lion, ensuite le renard (courtisan), puis le tigre et l’ours (puissants), et enfin l’âne (en bas de l’échelle sociale).
- La hiérarchie est marquée aussi par la différence entre l’aveu du lion et celui de l’âne. Le discours du lion est beaucoup plus long (19 vers) que celui de l’âne (6 vers).
- Le Renard flatte le lion du vers 34 à 42 : « trop bon roi », « trop de délicatesse, « vous leur fîtes(…) en les croquant, beaucoup d’honneur » + apostrophes déférentes : « Sire », « Seigneur » => cela lui permet 1) de bien se faire voir du roi et 2) de ne pas avouer lui-même ses fautes.
- Le Renard transforme habilement les fautes du lion en bienfaits : les péchés du lion deviennent un "honneur" pour les moutons et une punition mérité du berger => à la Cour, les notions de Bien et de Mal n'ont aucune valeur et sont totalement retournés.
- Tournure infinitive vers 43 : « Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir» => marque la rapidité avec laquelle les courtisans se rangent du côté du renard = encore une fois hypocrisie.
- Antithèse (= opposition) entre les aveux : « Les moins pardonnables offenses », vers 46 et "de petits saints"(vers 48) => accentue l'hypocrisie des courtisans
B) ... Seul l'âne méconnait ces règles
- Il avoue clairement sa faute : "je tondis de ce pré" + "puisqu'il faut parler net"
- Il s'enfonce : « quelque diable me poussant » (= immoralité) + « Je n’en avais nul droit » (= illégalité) + "l'herbe tendre" (= gourmandise)
- Il prend naïvement et maladroitement le discours du roi comme modèle :
Lion : | Ane : |
"nulle offense" | "nul droit" |
"appétits gloutons" | "faim" |
"j'ai dévoré" | "je tondis" |
- Mais il sait pertinemment que sa faute est moindre que celle du lion : "j'ai souvenance" => doit se creuser la tête pour trouver un péché, preuve qu'il n'a pas dû en commettre beaucoup + "la largeur de ma langue" = il a très peu volé d'herbe.
=> croit que sa faute étant bien moindre que celle du lion, il ne sera pas inquiété
L'âne est donc naïf et n'a pas compris qu'à la cour, ce n'est pas le Bien qui l'emporte sur le Mal, mais la ruse et l'hypocrisie.
III. Une critique de l'absolutisme et de la Justice
A) Une critique de l'absolutisme
- Le Roi est hypocrite : il fait semblant de se mettre au même niveau que ses sujets« Mes chers amis » (vers 15)
- Il fait preuve d'honnêteté, mais cela aussi est hypocrite : « Je me dévouerai donc » (vers 30) => il sait très bien que nul n’osera le désigner comme coupable. Il peut ainsi apparaître comme un modèle (« que chacun s’accuse ainsi que moi », vers 31). L'âne a été totalement dupe.
- Il commence son aveu avec "je", "moi", puis termine par "que le plus coupable périsse" => il s'exclut donc de la liste des condamnables !
- Il rythme son discours de modalisateurs qui font croire qu'il n'est pas tout à fait sûr de lui : "je crois", "peut-être", "l'histoire nous apprend".
- Mais il ne laisse pas du tout le choix à ses sujets et leur impose sa décision : "voyons", "ne ne flattons donc point" = impératifs
=> Le lion est hypocrite, manipulateur et autoritaire.
B) Une critique de la justice expéditive* et inique*
- La condamnation de l’âne, au vers 55, tient en un seul vers => la Justice est expéditive.
- Ce n’est d’ailleurs qu’au vers suivant que le loup « prouv(e) » que l’âne est coupable => aucune présomption d'innocence.
- Une morale explicite construite sur deux antithèses : "puissant / misérable" et "blanc / noir" + sur la symbolique des couleurs (blanc = innocence et noir = culpabilité) => une morale immorale (!) : ce n'est pas le Bien qui préside aux jugements, c'est la Puissance. Autrement dit : la Justice n'est pas basée sur les notions de Bien et de Mal mais de Puissance et Faiblesse.
- le jeu sur le pronom « vous » + le futur => généralisation de cette morale, universalisation.
Cl)Morale explicite : Dénonciation de la Justice expéditive et inique
Morales implicites : dénonciation de la superstition, de l'absolutisme, de l'hypocrisie de la vie à la Cour.
Merci pour cette étude de texte. Je vais justement devoir réviser cette fable pour le bac, votre analyse me servira beaucoup.
RépondreSupprimerMerci.