Texte 1
Ronsard, Ode à Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose1
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu cette vêprée2
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las! Voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las! las! ses beautés laissé choir!
O vraiment marâtre Nature.
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne3
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
1- Déclose = ouverte, dépliée
2- Vêprée = soir
3- Fleuronne = fleurit
Texte 2
RONSARD, Sonnets pour Hélène (1578)
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
"Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle !"
Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle
Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux* je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
* « Ombres myrteux » : dans les enfers, lieu où l'on accueille les couples amoureux.
Texte 3
Guillaume COLLETET (1598-1659)
Amours de Claudine (Poésies diverses, 1656)
Claudine, avec le temps tes grâces passeront,
Ton jeune teint perdra sa pourpre et son ivoire,
Le ciel qui te fit blonde un jour te verra noire,
Et, comme je languis, tes beaux yeux languiront.
Ceux que tu traites mal te persécuteront,
Ils riront de l'orgueil qui t'en fait tant accroire,
Ils n'auront plus d'amour, tu n'auras plus de gloire,
Tu mourras, et mes vers jamais ne périront.
O cruelle à mes vœux ou plutôt à toi-même,
Veux-tu forcer des ans la puissance suprême,
Et te survivre encore au-delà du tombeau ?
Que ta douceur m'oblige à faire ton image
Et les ans douteront qui parut le plus beau,
............Ou mon esprit ou ton visage.
Texte 4
Pierre CORNEILLE, Stances à Marquise (1658)
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront :
Il saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m'a vu ce que vous êtes
Vous serez ce que je suis.
Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.
Vous en avez qu'on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.
Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.
Chez cette race nouvelle
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit.
Pensez-y, belle Marquise,
Quoiqu'un grison1 fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise
Quand il est fait comme moi.
1- grison : homme grisonnant
Texte 5
Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal, Spleen et Idéal, (1857)
Remords posthume
Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
Au fond d'un monument construit en marbre noir,
Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir
Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse;
Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse
Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir*,
Empêchera ton cœur de battre et de vouloir,
Et tes pieds de courir leur course aventureuse,
Le tombeau, confident de mon rêve infini
(Car le tombeau toujours comprendra le poète),
Durant ces grandes nuits d'où le somme est banni,
Te dira : « Que vous sert, courtisane imparfaite,
De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts ? »
─ Et le ver rongera ta peau comme un remords.
*nonchaloir : dédain, nonchalance
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