jeudi 30 mai 2013

LA 2 : "Yeux qui versez en l'âme", Ronsard


Lecture analytique n°2 : « Yeux qui versez en l'âme », Ronsard

Le Second livre des sonnets pour Hélène, 1578

Pierre de Ronsard : considéré comme le « prince des poètes », il est le chef de file de la Pléiade, un groupe de poètes française du XVIème siècle, qui s'inspire des Anciens tout en enrichissant la langue française (devenue langue officielle depuis la récente ordonnance de Villers-Cotterets de 1539).

Le livre des sonnets pour Hélène est en réalité une poésie de commande de Catherine de Médicis, pour une de ses demoiselles d'honneur, Hélènes de Surgères, afin de la consoler du décès de son fiancé. Hélène est donc une inspiratrice du poète.

Quant au sonnet, il est apparu en France au début du Xvème siècle, reprenant les célèbres sonnets amoureux de l'Italien Pétrarque (XIVè). Cette forme poétique est largement reprise et diffusée par les poètes de la Pléiade.

  1. Un blason galant
    A. Un éloge des yeux

- Apostrophe aux « yeux »,v.1 puis 9.

- Mot en une seule syllabe, accentué par la virgule ; les deux emplois de « yeux » se font dans des vers de même rythme : 1/5/6 => mis en relief du mot.

- Images associant ces yeux à des astres : gradation dans la comparaison : d'abord « planètes » v.1 puis « Soleil » v.14 => hauteur, beauté et souveraineté (l'image de la femme - astre est une image traditionnelle de la poésie galante du XVIè)

- De manière générale, ils sont associés à la lumière ou la chaleur : « foudroyant », « forge », « éclairs », « rais », « Soleil ».

- Curieusement, ni description physique, ni description morale : l'éloge tient à leur pouvoir et leur force. lexique plutôt masculin : « forts », « sagettes », « me tuez », « forge », « traits », etc.


B. La description d'un coup de foudre amoureux

- Pronoms : « vous » et « je » qui apparaît dès le 1er quatrain => influence des yeux sur le poète.

l'influence des yeux se fait exclusivement sur le poète, comme le montrent les pronoms de la 1ère personne  : « en l'âme » (du poète notamment) v.1, « en moi » v.6,« les miens » (les yeux du poète) v.7 ; « me » v.8 ; « en moi  » v.14

- « foudroyant » = instantanéité de l'amour, ce qu'on appelle très exactement le « coup de foudre » ! - Enjambement v. 5/6 : accentue l'immédiateté de l'amour ;

- La métaphore des « sagettes » v.8 et des « traits » v.9 est un topoï(c'est-à-dire un lieu commun, un motif récurrent) de la poésie amoureuse : ce sont les flèches de Cupidon, qui rendent fou d'amour quiconque en est touché ;

- « Amour » répété deux fois au v.9, de part et d'autre de la césure + allégorie de l'amour avec sa majuscule => lui donne une grande importance

- « je suis de merveille ravi » v.12 = voix passive pour le poète qui dépend de ce regard, et hyperbole manifestant le bonheur extrême du poète lorsqu'il sent ces yeux sur lui ; a contrario, le poète se sent mort si les yeux ne sont plus sur lui : « je ne vi » v.13.

- La son [ê] de la rime A est repris plusieurs fois à la césure, créant des échos internes : v. 2, 3, 5, 10, 14 => résonance de l'éclair dans le poète.


C. Le ressenti physique du poète

- Le poète ne décrit pas ses sentiments, mais ses sensations : lexique concret (excepté dans le dernier tercet : « ravi » v.12.

- Les yeux ne sont pas décrits, ils ne sont suggérés qu'à travers leurs actions : les verbes : « versez » v.1, « vous faites » v.5, « foudroyant » v.7, « vous tuez » v.8 => ils agissent concrètement sur le poète.

- « sagettes », « traits », « poignants » v.10 (qui pique et serre le cœur, qui cause une sensation vive) => sensation physique de l'amour, comme une douleur ;

- « je les sens » v.12, « je ne les sens plus » v.13 : tout le ressenti du poète est de l'ordre de la sensation physique alors que les yeux, eux, semblent de nature métaphysique.

- Allitérations en [f] et [s] dans la 2ème strophe = accompagnent le son des flèches qui atteignent le poète : « toutefois », « faites », « forts », « foudroyant », « sang », « sont », « si, « cent », « sagettes ».

II. Des Yeux divinisés

A. des yeux mystérieux

- Surprenant : aucune description physique des yeux, ni couleur, ni forme => mystère (à qui appartiennent les yeux, on ne le sait jamais, hormis par le titre du recueil... et encore!)

- antithèse des v.3 et 4 : « je sais de quoi … mais je ne puis savoir » => le mystère entourant les yeux est d'autant plus grand que le savoir du poète semble grand : il est intensifié par le déterminant « tous » ;

- Le terme « chose » v.4 traduit l'ignorance du poète quant à la nature des yeux, qui ne sont pas comme les autres « membres » v.3 ;

- La double négation du v.5 exclut de fait l'appartenance des yeux à la catégorie des « membres » puisque n'ayant « sang ni chair » => accentue leur mystère

- Figures d'opposition qui renforcent le mystère : chiasme v. 7 et 8 (des yeux qui agissent « par le dehors » v.7 mais tuent « dedans » v.8, comme par magie !), antithèse des v.12 et 13 (« je les sens... je ne les sens plus » ; connecteurs marquant l'opposition : « je sais de quoi... mais je ne puis savoir » v.3 et 4, « toutefois » v.5.


B. des yeux dangereux

- Deux occurrences du mot « âme » v.1 et 11, en relation à chaque fois avec une idée d'annexion de cette âme par les yeux : v.1, l'âme est un contenant dans lequel les yeux « verse[nt] » un esprit ; v. 11, l'âme est un territoire que l'oeil « sonde » dans son intégralité 

- Adjectif totalisant « toute » v.11, en antithèse avec « le moindre » v.11 => toute-puissance du regard qui chosifie l'âme ;

- Métaphore de « la forge d'amour » v.9  : souligne la robustesse des yeux (et de l'amour, donc).

- Hyperbole « cent mille sagettes » à rapprocher de l'adjectif « forts » v.6 => regards tout-puissants, contre lesquels on ne peut pas lutter (d'ailleurs, il n'est nulle part question de lutter contre!).

- Référence à Méduse, la Gorgone qui pétrifie quiconque la regarde en face => regard qui tue également ici. Autre référence, plus discrète, à Méduse : lorsqu'on lui a tranché la tête, le sang qui jaillit de la veine gauche est censé être un poison, tandis que celui qui sort de la veine droite peut faire « ressusciter les morts », exactement comme l'esprit versé dans l'âme du poète, v.2


C. des yeux spirituels et divins

- Les yeux sont immatériels : ils n'ont « sang ni chair » v.5 ;

- Ils ne lancent pas de « traits » mais des « éclairs » (plus immatériels) ;

- Ils livrent un « esprit » v.1 et s'adressent à « l'âme ».

- Ils versent « un esprit qui pourrait ressusciter les morts » = métaphore hyperbolique → les yeux sont ici la source de l'esprit, lui-même ayant le pouvoir divin de rendre la vie aux morts ;

- idée reprise par ces mêmes yeux qui font « des miracles » v.6  => pouvoir divin des yeux.

- Pouvoir de vie et de mort : les yeux peuvent « ressusciter » et tout aussi bien « tue[r] » le poète v.8 , ou lui ôter le vie v.13. Ambivalence de ce regard donc, qui à la fois ensorcelle et tue, rend la vie et condamne.


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