mercredi 22 mai 2013

Baudelaire, LA 3 : L'Horloge


LA n° 3 « L'Horloge »

« Memento mori » = en Latin, souviens-toi que tu vas mourir. Cf. Wikipedia : On dit que dans la Rome antique, la phrase était répétée par un esclave au général romain lors de la cérémonie du triomphedans les rues de Rome. Debout derrière le général victorieux, un serviteur devait lui rappeler que, malgré son succès d'aujourd'hui, le lendemain était un autre jour. Le serviteur le faisait en répétant au général qu'il devait se souvenir qu'il était mortel, c'est-à-dire « Memento mori ».


I- Un discours d'avertissement
 
a) Les marques du discours

  • guillemets indiquant la prise de parole : discours occupe tout le poème sauf 2 vers
  • verbes de parole : « dit », « chuchotera », « dira » => discours à plusieurs voix, celle de l'horloge, celle de la Seconde, celle de Maintenant, celle de du Hasard, de la Vertu, du Repentir => alliance de plusieurs voix pour faire sentir l'urgence de l'avertissement
  • pronoms : « nous » (c'est-à-dire le poète et les lecteurs) qui devient « tu » dans le discours de l'Horloge => intimité entre l'horloge et chaque être humain, le temps fait partie intégrante de toute vie humaine
  • le « je » de l'Horloge n'apparaît jamais mais prend différentes figures, notamment avec l'allégorie de « Maintenant » v.11 et 12 ou le possessif « mon » au v.14.

    b) L'avertissement de memento mori
  • « Souviens-toi » répété 5 fois + deux fois en langues étrangères ; la formule commence le discours de l'Horloge et est accentuée par sa place en contre-rejet au v.2.
  • Ce que signifie ce « Souviens-toi » : avertissement de memento mori (« souviens-toi que tu vas mourir ») => rappel de notre mort prochaine
  • deux impératifs : « souviens-toi » au début du discours... et « meurs » à la fin => on est totalement dans le memento mori
  • avertissement souligné par la métaphore du doigt menaçant au v.2
  • Le rime en [oi] revient souvent : strophes 1, 3, 5 + reprise avec des mots à l'intérieur des vers : « doigt » v. 2, « souviens-toi » , « fois » v. 9, « décroît, v.19, « soif » v.20 => le doigt de la menace qui revient sans cesse nous hanter
  • Utilisation du futur : « se planteront », « fuira », « sonnera », « dira » pour évoquer cette menace qui pèse sur l'homme
  • « trois mille six cent fois par heure » v.9 => l'avertissement est répété à de nombreuses reprises, à tel point que la fréquence de la répétition occupe 8 syllabes sur 12 !
  • Nombreuses exclamations pour souligner l'urgence de cette prise de conscience... ou pour souligner l'inexorabilité de la mort ?
  • Quel est le message ? Rares références à la richesse de la vie : « délice » v.7, et la métaphore des minutes transformés en gangues renfermant de l'or v. 15 et 16, avec impératif : « il ne faut pas lâcher » => s'agit-il d'une incitation à profiter de la vie (ce qu'on appelle le « Carpe diem ») ou d'un appel à renoncer à tous les plaisirs de la vie, comme le font les memento mori ?

=> un message difficile à comprendre, ambigu


II- Le Temps, personnifié

a) Le Temps est un hybride (= un être polyforme)...

Nombreuses images comparant le temps à des créatures :
  • Métaphores : L'Horloge = « dieu » v.1, pourvu d'un « doigt » et d'un « gosier » => signifie sa toute-puissance ; Le Temps = « un joueur avide » => marque sa cruauté ; « Maintenant » v.11 = un « insecte » par le biais de la « voix » et de la « trompe »... voire un vampire parce que a « pompé ta vie » v.12
  • Allégories grâce à la majuscule : « Seconde », « Maintenant », « Autrefois », « Temps »
  • Personnifications ou animalisations : l' « instant » « dévore » v.7 ; la « Seconde » « chuchote » v.9 ; « le gouffre » (qui représente le temps, ou la mort) « a toujours soif ».

=> le temps est tantôt un dieu, tantôt un insecte, tantôt un vampire qui aspire la vie.

b) … effrayant !
- Accumulation d'adjectifs qualifiants l'horloge au v.1 => marquent la terreur qu'inspire ce dieu

  • Champ lexical de la peur ou de la menace au début du poème : « effrayant », « menace », plein d'effroi », « fuira »
  • Allitération en [r] v.3 => son dur, accentue l'effroi
  • Allégories non seulement du temps, mais également d'autres sensations (« Douleurs », « Plaisir »), émotions (« Repentir »), valeurs (« Vertu »), notions (« Hasard ») : comme si tout prenait vie,comme si tout nous échappait, paysage de cauchemar !
  • Métaphore du cœur (symbole de vie) transformé en « cible » pour les flèches de la « Douleur » ; à mettre en relation avec l'idée du corps transpercé également par la « trompe » qui nous a « pompé » => le temps transperce l'homme.
  • Champ lexical de l'engloutissement, de la dévoration : « te dévore », « j'ai pompé », « mon gosier », « avide », « le gouffre », « toujours soif » => une des images principales du Spleen baudelairien est l'engloutissement. Ici, engloutissement de la vie par le Temps.
 

III- Une allégorie de la condition humaine
 
a) Inexorabilité de la mort

  • accélération du temps qui passe visible dans l'accélération du rythme du poème : par ex., la 2ème strophe est ample, aucune ponctuation ne vient heurter les vers ; au contraire, la 3ème strophe doit se lire dans un seul souffle à cause des contre-rejets de « la Seconde » et « Rapide avec sa voix » => accélération brutale
  • la ponctuation envahit les vers, qui sont alors saccadés et rythmés comme le décompte du temps
  • noter d'ailleurs que le poème compte 24 vers = les 24 heures d'une journée ?
  • Vers 11 : « Maintenant dit : Je suis Autrefois » => paradoxe qui montre que le présent n'existe jamais, que l'instant ne dure pas, qu'il se transforme toujours en passé... donc nous vivons toujours dans le passé... nous sommes alors totalement orientés vers la mort.
  • Les rares éléments de vie de ce poème sont fuyants, évanescents : « le Plaisir » est « vaporeux » et « fuira », il est comparé à une « sylphide », petite fée volante qui s'échappe dans la « coulisse », mot aux sonorités glissantes : coule, glisse...
  • les vers 19 et 20 sont construits sur des antithèses construites en parallèle : le jour et la clepsydre représentent le temps qu'il nous reste à vivre, et qui s'amenuise d'autant que la mort (la nuit et le gouffre) s'approche.
  • Assonances en [ou] sur ces mêmes vers, que reprendront les « où » en anaphore dans la dernière strophe => accentuent l'impression d'engloutissement et le rythme du temps.
  • Quelques références à la mort : « mortel » v.15, « meurs » v.24, « sonnera l'heure » v.21, « trop tard » v.24

b) Universalité de cette condition humaine

  • Trois langues employées pour l'avertissement + « mon gosier […] parle toutes les langues » v. 14 + « chaque homme » v.8 => s'adresse à tous les humaines
  • « c'est la loi » + « à coup sûr » v. 18 + adverbe « toujours » v. 20 => aucune chance d'y échapper
  • métaphore de la vie comme un jeu cruel on le Temps est toujours vainqueur... donc l'homme toujours perdant !
  • description très pessimiste de l'humain : il est « prodigue » v. 13 et « folâtre » v. 15 puisqu'il dépense son temps sans compter, il est « lâche » puisque dans le dernière strophe, le poète montre que pour reculer le moment de sa mort, l'homme est prêt à toutes les basses, il est prêt à devenir vertueux alors qu'il ne l'a jamais été (d'où l'image ironique de la Vertu en épouse vierge), il est prêt à se repentir de ses mauvaises actions (image rendue également ironique par la parenthèse et l'interjection « oh ! »... qu'on pourrait interpréter aujourd'hui par un : « dommage pour toi, ta dernière chance est grillée! »)


Cl) Un poème de memento mori à mettre en relation avec les Vanités du XVIIè siècle (la vanité de Philippe Champaigne par exemple).

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