jeudi 2 mai 2013

Baudelaire, LA1, Spleen IV


Spleen IV

4ème et dernier poème intitulé « Spleen », sur une série de 4 : situé vers la fin de la section « Spleen et Idéal ». Poème le plus sombre des quatre « Spleen », qui reprend les thèmes chers au Romantisme Noir (créatures maléfiques, goût du macabre, satanisme, folie...) pour décrire l'état spleenique. Poème noir donc, offrant une représentation imagée

Etudier la structure du poème en lien avec les indices temporels => deux parties se dégagent :

La première, marquée par l'anaphore de « Quand » = les 3 premiers quatrains

La deuxième, introduite par le connecteur temporel « tout-à-coup », 4ème strophe.

I. Description d'un paysage intérieur

A. Description d'un paysage angoissant

Quand le ciel / Quand la terre / Quand la pluie : éléments de la Nature.

Mais une nature de mauvais temps : « ciel bas et lourd », « pluie », « humide »

Une nature oppressante :

Le ciel, habituellement élévation vers l'infini, est ici qualifié deux fois : « bas » + « lourd » + métaphore du « couvercle » qui « pèse » => oppressant.

Ce ciel ne laisse aucune échappatoire, il enveloppe « tout » l'horizon, v. 3 = déterminant indéfini globalisant

+ perte de lumière : oxymore « jour noir » v.4 comparé à la « nuit » v.4 + image du cachot et de la chauve-souris dans la strophe suivante + l'expression « au fond de » v.12 => obscurité qui s'abat.

Une nature enfermante : champ lexical de la prison :

La terre : métaphore du « cachot » => enfermement

La pluie : « imite les barreaux » d'une « prison »

+ CL de la prison : « les murs » v.7 et « des plafonds » v.8

Aucune échappatoire possible : cette nature jusqu'à l'« horizon » v.3, est « immense » v.9, et « vaste » v.10 => à l'image du spleen qui envahit tout l'être.

Une nature effrayante et dégoûtante :

Créature damnées : chauve-souris (métaphore de l'Espérance) et « infâmes araignées » v.11 (araignées déjà répugnantes, et impression de dégoût accentué par le qualificatif).

La nature est « humide » v.5, a des plafonds « pourris » v.8, remplis de « filets » d'araignées.

Tout en mouvements : « verse » v.4, bat v.7, cogne v.8, étale v.9, tend v.12

B. Correspondance entre ce paysage et l'état d'esprit du poète

Chacune des 3 strophes évoque un élément désignant l'esprit humain : « esprit » V.2, « Espérance » v.6, « cerveaux » v.12

Mais ces éléments sont reliés au paysage décrit : le ciel pèse sur « l'esprit » de la 1ère strophe ; « l'Espérance » de la 2è strophe est enfermée dans le cachot de la terre ; les « cerveaux » de la 3è strophe sont envahis des « filets » des araignées.

Nombreuses images qui expriment visuellement le sentiment du poète.

Comparaisons : « le ciel … comme un couvercle » v.1 ; « la terre est changée en un cachot » v.5 ; « l'Espérance, comme une chauve-souris » v.6 ; « la pluie … d'une vaste prison imite les barreaux » v.10

Métaphore : « peuple muet d'infâmes araignées » v.11

Allégories : suite du poème → « l'Espoir » qui pleure et « l'Angoisse » qui plante un drapeau

=> on passe donc d'images déclarées comme telles grâce aux outils de comparaison, à des métaphores et allégories qui effacent la frontière entre symbole et réalité, qui rendent plus présentes et plus vivantes ces images, qui les font presque passer dans le domaine de la réalité.

=> la nature = le poète

La souffrance est présente : « gémissant » v.2, « battant » v.7 et « se cognant la tête » v.8

Elle s'explique par les sentiments nommés : « ennuis » v. 2, « triste » v.4 (remarquer l'assonance en [i], qui marque la stridence de la souffrance)

L'ennui est marqué par l'utilisation de nombreux participes présents : « gémissant », « embrassant », « battant », « cognant », « étalant » => fait écho à l'allitération en [an] de l'ennui => renforce cet ennui.

+ le participe présent évoque une action qui dure, et qui est en cours de déroulement => étirement des actions, allongement de ces actions, donc ennui.

+ « ennuis » est précédé de l'adjectif « longs » v.2, le tout au pluriel pour accentuer cet effet d'ennui.

+ les alexandrins s'étirent de manière monotone, sans heurt, longuement.

Influence de la nature sur l'esprit :

Le jour est « triste » v.4 : il « répand la tristesse » selon l'une des définitions que le Petit Robert donne à l'adjectif « triste » => la nature influence donc nos âmes.

Utilisation du pronom personnel : « nous » : le ciel « nous verse » v.4, les araignées tendent leurs toiles au fond de « nos cerveaux » v.12 => universalité de ce sentiment, complicité entre poète et lecteurs.

Entière passivité du poète : ce « nous » n'est pas sujet, il subit.

II. La progression vers le spleen

A. Une inexorable progression

Premières strophes = préparent la suite puisqu'elles constituent une seule et même phrase qui se termine dans l'avant-dernière strophe.

Schéma de cette phrase : Quand … quand... quand... tout à coup. Les 3 subordonnées (3 premières strophes) préparent la proposition principale : permettent la dramatisation, la lente montée vers le spleen.

Ces subordonnées s'étallent en longueur avec les coordination « et » v.3, 8 et 11, qui les rallongent.

Les premières strophes opèrent un ressèrement dans un lieu de plus en plus clos : ciel et horizon (strophe 1) devient terre et cachot, (strophe 2) puis prison et cerveau (strophe 3). On passe de la description d'un extérieur triste à l'évocation de l'intériorité du poète => l'expérience de l'angoisse devient de plus en plus personnelle, intime.

Ces strophes créent donc une effet d'attente, une tension.

B. Dernier sursaut de l'esprit

Rupture au vers 13 : plus de reprise du « quand » mais irruption des « cloches ».

- Mouvement brutal qui rompt avec la lenteur des strophes précédentes : « sautent avec furie » + « lancent vers le ciel » => mouvements ascendants, tentative de rupture de l'état léthargique dans lequel s'enfonce le poète.

- Bruits : Ces cloches = esprit du poète, ou son art, sa création poétique qui parfois lui permet de s'élever vers l'idéal. En tout cas ici, les cloches ne font pas entendre un son heureux mais « affreux ».

Personnification : « poussent un hurlement », en rupture avec les gémissements du vers 2 ou le peuple « muet » du v.11.

Allitérations en [t], [k], [r] => accélération du mouvement, rythme saccadé.

Comparaison des cloches avec des « esprits errants » => image fantastique et morbide, amplification de la peur, du désespoir. Image de solitude et de damnation. Lien à faire avec la chauve-souris et les araignées : le poète ne ressemble plus qu'à ces créatures damnées, aucun moyen de s'élever, c'est plutôt une descente aux enfers.

Les « hurlements » se transforment en gémissements (« geindre ») => renoncement du poète qui ne peut plus accéder à l'idéal, qui est condamné à l'errance éternelle.

Noter l'adverbe « opiniâtrement » => accentue l'idée d'éternité (d'abord parce que le mot est long, ensuite parce qu'il y a diérèse, enfin parce que le mot suggère l'idée de durée).

Premier point du poème => comme une fin, une renonciation à se battre.


C. Défaite de l'esprit

Insertion d'un tiret pour introduire la dernière strophe : Rupture totale avec ce qui précède, chute, introduite par la coordination « et » qui marque ici la conséquence de ce qui précède.

La bataille a été remportée :

- Lexique guerrier : « tambours », « défilent », « vaincu », « despotique », « plante son drapeau » + rythme solennel avec une césure marquée par une virgule => victoire de l'Angoisse, sur l'Espoir (allégories marquées par la majuscule).

- Lexique morbide : « corbillards », « pleure », « crâne », « drapeau noir »

- Lexique de la souffrance : « pleure », « atroce »

- Lexique du renoncement, de la défaite : « vaincu », « crâne incliné »

Le tout est marqué par l'absence :
absence de musique « sans tambours ni musique »
absence de mouvement violent « défilent lentement »
absence de référence à la nature, le terrain ici est « mon crâne » : passage au « je » dans le tout dernier vers : on passe d'une expérience universelle (utilisation du « nous » au début du poème), à une expérience intime, très personnelle (« mon »).
absence d'espoir : contre-rejet de « l'Espoir » => rythme brisé, espoir condamné. Noter la rime de « Espoir » avec « noir ».
Absence de mouvement ascendant, toute tentative d'élévation est condamnée => uniquement des mouvements horizontaux (« longs », « défilent »), ou orientés vers le bas (« incliné »). Le terme « esprit » fait place au terme « crâne », comme si toute spiritualité était désormais inutile => crâne comme référence au corps physique, à la mort.




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