lundi 5 avril 2010

"Le Chien et le Cheval", chap. 3, Zadig

(les n° de lignes renvoient à la photocopie distribuée ou à l'édition Librio)


I. Les ingrédients indispensables au bonheur selon Zadig (l. 1 à 22) :- La solitude (Zadig répudie Azora et se réfugie à la campagne)
- La nature (périphrase et métaphore : « ce grand livre que Dieu a mis sous nos yeux »)
[ cf. les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau, 30 ans plus tard, 1776-1778]
- Les études, la recherche de connaissances, « il étudia surtout les propriétés des animaux et des hommes » = thème cher aux philosophes des Lumières.
- Zadig étudie de manière « gratuite », non pas pour transformer la nature ou s'enrichir (« faire de la soie avec des toiles d'araignées ») mais seulement pour l'amour de la connaissance.

= Grâce à cette observation de la nature, il devient un homme éclairé, c'est-à-dire qu'il « découvrait mille différences où les autres hommes ne voient rien que de l'uniforme ».

Cette introduction est nécessaire pour comprendre comment Zadig a pu devenir si perspicace.


II. Un récit exemplaire

A. un conte oriental (l. 23 à 50) :- Mise en place d'un cadre spatio-temporel propre aux contes : « un jour » + « auprès d'une petit bois ».
- Des personnages dignes d'un conte également : « reine », « officiers », « roi » et « grand veneur ».
- De l'action : « accourir », « couraient » …
- Et des émotions : « inquiétude », « égarés ».
- Et surtout, des péripéties qui ne se produisent que dans les contes pour enfants : « par une bizarrerie ordinaire de la fortune » (d'abord le chien de la reine, puis le cheval du roi !).
- des éléments orientaux : desterham, eunuque, livre du Zend, Euphrate, Babylone … (on se rappelle que l'Orient est à la mode dans la littérature du XVIIème siècle)
= Mise en place d'un récit exemplaire, beaucoup de points communs avec le conte de fées.

B. Un récit policier (l. 23 à 62) :- Présence d'une énigme : la perte d'un chien puis d'un cheval
- Zadig a la démarche d'un enquêteur (comme Sherlock Holmes) grâce son observation minutieuse de la nature (« qui lui découvrait mille différences là où les autres hommes ne voient rien que l'uniformité ») : « j'ai vu » … « j'ai jugé » … « j'ai remarqué » … « j'ai compris » ...
- le champ lexical du délit et de la peine : « volé », « condamnation », « knout », « Sibérie »

III. Un discours explicatif convainquant (l. 63 à 102) :Zadig se montre très convainquant :

- Les marques de l'oralité :
*la longue apostrophe du début (l. 63 à 65) dont on verra l'ironie après.
*Le jeu des pronoms (« je », « vous »)
*le présentatif « voilà »

- L'organisation du discours est rigoureuse :
*un exorde (capte l'attention par l'apostrophe) = toute l'apostrophe du début jusqu'à « voici ce qui m'est arrivé »
*une narratio (l'exposé des faits, le raisonnement) = tout le reste de son discours
*… pas de péroraison (ou conclusion avec un registre pathétique) = Zadig n'est pas dans la persuasion (il ne cherche pas à persuader … quoique : voir plus bas), mais dans la conviction.

- Ses explications sont précises :
*précision du lieu l. 69-70
*Précision de vocabulaire, de la description : utilisation d'adjectifs qualificatifs (« léger », « long ») et de subordonnées relatives (qui apportent une précision)
*des mesures précises, mathématiques : « égale distance », « sept pieds de large », « trois pieds et demi », « cinq pieds de haut », « 23 carats », « onze deniers de fin » …
*des connecteurs logiques (conséquence, de cause) : « puisque qu' », « ainsi », « car »
*registre didactique : zadig explique très précisémment comment il va de l'observation à la conclusion = raisonnement inductif


IV. La critique de la justice :

- Les juges accusent sans preuve : « ne doutèrent pas que » l. 51 ; « l'assemblée du grand desterham qui le condamna » l. 54
- Des juges sadiques : « furent dans la douloureuse nécessité de réformer leur arrêt » (= de revenir sur la condamnation prononcée à l'encontre de Zadig)
- Une justice inique (= injuste) : disproportion entre le délit et la condamnation : avoir volé un cheval et une chienne = knout + exil en Sibérie / « il n'avait point vu ce qu'il avait vu » l. 59 = 400 onces d'or / « il avait regardé par la fenêtre » = 500 onces d'or !
- Des juges vénaux (= intéressés uniquement par l'argent) : les amendes à payer + on le rembourse de son amende de 400 onces d'or en en retenant 398 pour les frais de justice !
- Pas de présomption d'innocence : « d'abord payer … après quoi ... plaider sa cause » l. 60-61. Or en France, on est présummé innocent depuis … 1789, soit 39 ans APRES l'édition de Zadig !
- Une justice absurde : Zadig condamné d'abord parce qu'il dit qu'il n'a pas vu (l. 59) puis parce qu'il ne dit pas qu'il a vu (l. 120) !
- Cette dénonciation de la justice est visible à travers l'apostrophe de Zadig, au début de son discours : chaque métaphore peut être analysée à double sens (= ironie de Voltaire). C'est aussi ce qui permet de nuancer l'idée selon laquelle Zadig n'essaie pas de persuader ; en réalité, il flatte ses juges :
* Etoiles de justice = brillant comme la justice / loin de toute justice
* Abîme de science = une science très profonde / une science creuse
* Miroirs de vérité = reflète la vérité / à l'opposé de la vérité
* qui avez la pesanteur du plomb … = votre parole a du poids / vous êtes maladroits, bornés
* … la dureté du fer ...= durs et justes / cruels, sadiques
* … l'éclat du diamant … = vous brillez / vous êtes corrompus
* Et beaucoup d'affinité avec l'or = même chose que le diamant.

Conclusion : Voltaire, par l'ironie, dénonce une justice inique, cruelle et corrompue.
On en apprend un peu plus sur Zadig (logique, réfléchi, éclairé), et lui-même en apprend un peu plus sur le système de son pays ...

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