lundi 19 mars 2012

Nuit des Temps, LA2 : Description d'une utopie

La Nuit des Temps, LA n°2 : description d'une utopie
p.197 (p.217 dans la nvelle édition), de « le sous-sol fut creusé davantage en profondeur » jq'à la fin du chapitre

= Description de la vie à Gondawa = une utopie (de Utopia, de Thomas More, du grec ou = non et topos = lieu) = description du fonctionnement de sociétés parfaites et isolées en un lieu souvent clos (cité, île, etc.). Elles permettent de critiquer les sociétés réelles existantes mais servent également de modèles. A l'inverse, les dystopies décrivent des mondes sinistres et totalitaires.
Qui : Narrateur externe, description rapportée par Eléa.
Quand : Rapporté à l'époque du récit, de Simon, c'est à dire dans le futur ; mais la société décrite ici existait il y a 900.000 ans.
Quoi : Architecture de la cité (l. 1 à 29) ; puis l'économie sociale (l. 30 à 64) ; puis le travail (l. 65 à 80 ; et enfin l'industrie (l. 81 à la fin)
Où : Gondawa, « à l'abri », dans « le sous-sol ».
Pourquoi : « la surface était dévastée » après la guerre d'une heure avec Enisoraï. Or « la sagesse conseillait de reconstruire à l'abri » (lignes précédant l'extrait)

I) L'architecture de la cité : re-création d'un Eden (l.1 à 26 en nvelle édition) 

          A. Tout est (re)créé à partir de la nature
    - utilisation d'éléments de la nature (chp lex. De la nature) : « cavernes naturelles, les lacs et les fleuves souterrains » l. 3 = harmonie hommes / nature)
    - découverte de nouveaux éléments de la nature : « l'énergie universelle » (qui sera d'ailleurs un motif récurrent dans le roman, et l'objet de toutes les convoitises)
    - amélioration de la nature : superlatifs « plus riche et plus belle » l.7-8
    - re-création de la nature à l'identique : « lumière pareille à celle du jour » l.9-10
    - création d'une nouvelle nature : « des espèces nouvelles furent créées » l.11-12
    - les villes elles-mêmes sont fondues dans cette nature, elles sont évoquées au milieu de ce foisonnement, à travers une gradation qui est en même temps une métaphore empruntée à la nature : « les villes enfouies devinrent des bouquets, des buissons, des forêts » l.10-11
    - sur la terre = idem que sous la terre, les bâtiments sont fondus dans la nature : au milieu des « forêts », « animaux », « cours d'eau », « vallée », « plage » et « océan », on trouve des « bâtiments ».
    - Les machines prennent les traits de vers de terre géant : « machines molles et silencieuses », « rampaient », « faisant disparaître devant elles la terre » l. 14 à 17.

    B. Tout est fait pour le bien-être et la protection des hommes
    - Une cité souterraine, retirée dans le coeur de la Terre = retour vers l'antre originelle, l'utérus maternel : chp lexical de l'enfouissement, de la protection « le sous-sol fut creusé », « profondeur » « enfouies » // la sphère d'or, elle aussi enfouie sous terre = idée de protection, de vie à l'abri de tout danger extérieur, de repli sur soi, peut-être de régression, d'infantilité, d'endormissement de la conscience (voir le mythe de la caverne de Platon par exemple, avec l'aveuglante lumière qui pousse les hommes au meurtre pour ne pas avoir à connaître l'insupportable vérité).
    - La surface est un « couvercle » (métaphore) : idée de protection, de bouclier qui protège la cité enterrée.
    - Toute la surface est optimisée : « on en tira parti », « chaque parcelle », « morceau de forêt » = rien n'est laissé à l'abandon.
    Utilité de cette surface pourtant dangereuse (cf. début du chapitre : « la sagesse conseillait de rester à l'abri et d'y vivre ») : y créer un « centre de loisir » l.22-23, y « jouer » l.27, y avoir des sensations fortes en vivant « une aventure » l.28-29 (chp lexical du jeu et des loisirs)
    = Motif fréquent de la science-fiction : vie sous terre pour échapper aux dangers de la vie en surface, suite à une guerre apocalyptique par exemple.
    - Chp lexical du soin et de la solidité : « sauvegardée », « soignée », « préservées », « roc », « acier »
    - Noter l'adjectif « silencieuses » l.14, qui sera repris plus loin =monde de silence, comme enveloppé dans l'ouate, où tout est assourdi, protégé.
    Re-création d'une nature améliorée, dans laquelle la flore tient une place prépondérante = re-création d'un Eden sans dieu (où l'homme serait le démiurge).
    = cela pose la question des limites de cette architecture : les citoyens risquent de s'y endormir, de s'y ennuyer. D'où la création de grands parcs de jeux en surface ? La surface = une poche à adrénaline dans un monde où tout devient trop facile ?

II. Le système parfait de la clé :

A. Liberté et égalité 

- la clé, symbole de liberté? Elle permet d'avoir accès à tous les biens et services. On apprend qu'elle se place au majeur (l.44), le doigt le plus long, symbole de puissance.
- le système est universel : « chaque vivant », « chaque année »
- il est égalitaire : chp lex. De l'égalité « une partie égale de crédit », « il n'y avait pas pauvres, il n'y avait pas de riches » l.57-58 (noter le parallélisme qui accentue l'égalité entre les individus) ; « en respectant […] l'égalité des droits des Gondas » l.62
- il est prodigue et sans fond : « largement suffisant », « profiter de tout », « chaque fois qu'un Gonda désirait qqchose », « obtenir tous les biens qu'ils désiraient » + énumération l. 43 : « qqchose de nveau, des vêtements, un voyage, des objets » = énumération du nécessaire (vêtements) au superflu plaisant (« voyage »).
- il est rationnel : « s'ordonnait » l. 30, « la raison » l.31, « calculée » l.36, « géré par l'ordinateur central »l.38-39, « prévu à cet effet » l.45, « automatiquement » l.56
- il est humain : efface le côté trop rationnel par « la joie » l.31, répété l.100 : « joies ».
- il est individualisé : « certains citoyens, d'une qualité exceptionnelle » l.49, « en respectant […] l'inégalité de leurs natures » l.62-63, « selon ses goûts et ses besoins » l.64. + répétition de « chaque, chacun, un Gonda »... = prise en compte de l'individu
- Il est prudent, évite la prise de pouvoir en limitant l'« accumulation des possibilités de paiement entre les mêmes mains ».

B. Les implications et les failles du système 

- Description d'une pure société de consommation, qui n'a pas de frein à ses désirs.
- L'argent n'existe pas en tant que tel, mais on trouve de multiples termes y ayant trait : « crédit », « payait », « compte », « valeur de la marchandise », « paiement », « richesse » = la clé est le précurseur de notre économie virtuelle, plus de billets ou de pièces, mais une autre forme de carte bancaire.
- Il existe des citoyens « supérieurs », qui « recevaient un crédit supplémentaire » ; cette supériorité est-elle basée sur la fonction sociale (« directeur d'Université ») ou sur la qualité intellectuelle (Coban étant un être supérieurement intelligent) ?
- On apprend plus tard dans le roman qu'il existe des « sans-clé » : ce sont les exclus du système, correspondant à nos actuels « sans-abris » et « sans-papiers », ils vivent d'ailleurs à l'écart de la cité, dans ses murs et ses escaliers abandonnés. 
 
III. Le système du travail est  également idéal

A) Le travail à la carte (l.57 à 70 de la nvelle éd.)

- Absence marquée de hiérarchie, de patronat : « chaque Gonda devait au travail », dans des usines qui fonctionnent « avec leur propre cerveau » (personnification).
- un engagement minimal : une demi-journée de travail tous les 5 jours
- une organisation du temps flexible : « ce temps pouvant être réparti par fragments »
- un choix laissé aux citoyens : parallélisme de construction pour marquer la liberté de choix : « il pouvait, s'il le désirait... il pouvait, s'il voulait... »
- un système de malus pour inciter au travail : pas de travail => perte de crédit, mais tout de même, « un minimum de superflu ».
- énumération d'adverbes de quantité : « plus », « moins », « davantage », « autant » => société basée sur le calcul, la raison, la proportionnalité entre le temps de travail et la somme de crédit.
- Mais toujours pas d'argent en jeu : « le travail n'était pas rétribué »
- Champ lexical de la liberté accentué par des répétitions : « pouvant » l. 73, « pouvait » l.74 puis 75, « « s'il le désirait » l. 74 et « s'il le voulait » l. 75, « choisissait » l. 77 puis 78.
- A mettre en parallèle avec le champ lexical du travail : le nom « travail » est répété 3 fois dans le paragraphe, et le verbe « travailler » 4 fois + « usines », « main-d'oeuvre », « production », « tâches ».
- Une interrogation : si les usines fonctionnent « sans main d'oeuvre et avec leur propre cerveau », pourquoi ont-elles besoin des hommes pour accomplir « les tâches de la main et de l'intelligence » ? Puisque visiblement, le travail des hommes n'est pas indispensable (les usines semblant parfaitement fonctionner seules), pourquoi l'auteur intègre-t-il le travail dans la cité ? Hypothèse : Barjavel semble reprendre la théorie de Marx : le travail n'est une aliénation que s'il comporte des contraintes comme la hiérarchie, les horaires, la dépendance financière. En revanche, le travail « pur », est libérateur et épanouissant. Le travail marxiste est une « liberté créatrice » s'il appartient aux travailleurs eux-mêmes et non pas à une caste supérieure.

L'époque de Barjavel est bien marquée dans la description de cette utopie : vers une société de loisirs, de liberté, d'indifférenciation sexuelle dans la société et de refus du travail aliénant.

B) L'industrie : des usines intelligentes

Elles sont la base de toute la société : elles sont évoquées dès la l.31, puis l.65, et enfin, elles terminent la description de la cité. Elles sont :
- des cornes d'abondance, ce sont elles qui pourvoient aux moindre désirs des citoyens : « fabriquaient tout ce dont les hommes avaient besoin » l.32 , créent un « flot » d'objets + énumération de qualifs : « multiple, divers et ininterrompu » l.99
- discrètes : « silencieuses » l.31 et 37 , fondues dans l'environnement naturel « posées au fond des villes » l.81, voire cachées « dans leur plus grande profondeur » l.82, et en tout cas en-dessous de la ville puisque la toute fin de l'extrait précise que tout ce qui y est fabriqué « montait vers la ville souterraine ».
- écologiques : « sans déchets » l.32 + chp lexical de la nature.
- vivantes : comme des cellules d'un seul corps auto-régulé sans intervention humaine : « se raméfiait » », « bourgeonnante », « résorbait » =comparées à un arbre ? Evite le système capitaliste où, dans les faits, il se passe la même chose (élimination des « canards boiteux »), mais par le fait de décisions humaines. Ici, sélection naturelle, donc meilleure selon les valeurs de Barjavel (où le naturel semble être la valeur primordiale).
- Gratuites : elles ne consomment rien, aucune matière première. Elles semblent vivantes, se nourrissant de l' « Energie Universelle ».
- Supérieures au vivant : mais Barjavel prend soin de noter qu'elles ne sont pas vivantes : comparaison entre la conception d'un enfant par une femme et la création d'objets par l'usine (l.92 : « ressemblait à »), rapidement annulée par la conjonction de coordination « mais » l.96. Les termes en lettres majuscules soulignent la rupture dans la comparaison : alors qu'une femme enfante à partir de « presque rien », l'usine produit à partir de « rien » = supériorité de l'usine sur le vivant, supériorité de la machine (voir encore les machines comparées à des vers de terre, l.17, et qui réussissent à produire mieux que l'homme : « plus durs que l'acier » l.18-19).
- Finalement, sortes de divinités, substituts à dieu : elles pourvoient aux « besoins des hommes » et à leurs « joies » (termes religieux). Elles créent à partir de rien (cf. la Genèse, Dieu crée à partir de rien) et sans l'aide des hommes. Elles illustrent l'équation de Zoran qui prend ici la forme d'un acte de foi scientiste : « ce qui n'existe pas existe ».
= gradation dans la description et la découverte des usines. Elles apparaissent d'abord comme des usines classiques, pourvoyeuses de biens pour la société de consommation qu'est Gondawa. Puis leur fonctionnement montre qu'elles imitent le vivant, puis le dépassent, le comblent de leurs bienfaits.

Conclusion :
Description d'une société parfaite, où le manque, la contrainte et la souffrance n'existent pas. Tout est basé sur l'abondance et l'harmonie nature /cité /machines /hommes.
Les limites de cette utopie transparaissent : l'ordinateur central qui gère les comptes des Gondas est aussi ce qui limite leur liberté (il choisit un conjoint ; il désigne Eléa pour entrer dans l'oeuf ; il connait par coeur chaque habitant de la cité) ; le système des clés crée aussi des exclus ; la société de consommation n'est qu'une réécriture du « panem et circenses » antique, pour anesthésier la population...
On est étonné qu'il n'y ait aucune référence à une quelconque système politique (hormis le terme « citoyens » l.59). On apprend plus loin qu'il y a un Président (Coban) mais aucune mention du système d'élection.

2 commentaires:

  1. Coban n'est pas le président de cette société, c'est un scientifique qui travaille au sein de ce qui est appelé l'Université. Le personnage qui se rapproche le plus d'un président tel qu'on le conçoit actuellement est Lokan, qui est le président du Conseil Directeur.

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