lundi 19 mars 2012

Zadig. LA4 : "L'Ermite"

LA n° 4 : Chapitre 18, l'Ermite « Tandis que le Babylonien parlait... Prends ton chemin vers Babylone »
Zadig va d'aventure en aventure, parfois malheureux, mais toujours honnête et droit. Dans ce chapitre, Voltaire réfléchit sur les notions de Bien et de Mal, de liberté humaine et de volonté divine.

Ce chapitre est donc primordial, car il éclaire le sous-titre (« ou la destinée ») et le sens de l'oeuvre.
Distinguer "destin" et "destinée" :
destin = anonyme et fatal (il n'y a pas d'être suprême pour tirer les ficelles)destinée = l'enchaînement des faits est dû à un grand ordonnateur (un dieu ou une puissance quelconque)

  1. Un dialogue pour comprendre la présence du Mal sur Terre
    1. Le récit ressemble à un « exemplum » (= sermon religieux)
      *champs lexical de la religion (« ange divin », « Ciel », « empyrée », « ordres éternels », « vertueux », « justes », « mal », « bien », « Etre suprême », etc.)
      *enseignement moral visible à travers des impératifs : « souviens-toi », « cesse », « prends »
      * adoration de Zadig : « ô » répété deux fois ; « se prosternant », « te prier », « à genoux, adora […] se soumit »

    2. Des protagonistes stéréotypés
      - Un personnage symbolique :
      * archétype du vieux sage : barbe blanche + ermite + vieillard
      * ensuite passage de l'humanité à la divinité :
      o son « visage prenait les traits de la jeunesse » => éternelle jeunesse des créatures divines
      o « belles ailes » = marques de l'ange
      o « corps majestueux et resplandissant de lumière » = registre merveilleux, figure sacrée
      o vocabulaire nettement mélioratif
      - Noter ensuite que Zadig est placé presque sur un pied d'égalité avec l'Ange :
      Ils se tutoient mutuellement (jusqu'à maintenant, ils se vouvoyaient)
      - En réalité, Zadig se prosterne et demande la permission de parler ; l'ange finit par lui donner des ordres
      - Noter tout de même que Zadig est choisi entre tous :
      « était de tous les hommes celui qui méritait le plus d'être éclairé » : il est donc élu par l'Etre Suprême ;
      « Orosmade t'a envoyé pour changer sa destinée » (au pêcheur) : rôle christique !

      => Zadig est donc un héros, dans le sens où il est différent et supérieur aux autres hommes. Il incarne l'idéal du philosophe éclairé : humble, curieux, intelligent, soumis à Dieu.
    3. Un dialogue argumentatif élaboré :
      - Point de vue de l'Ange :
      * sa thèse : il faut se soumettre aux ordres éternels
      * arguments variés : par analogie (« il n'y a ni … ni ... »)/ par hypothèse (« si .. et si … ») par l'absure (« alors cette terre serait … serait ... ») / logique (s'il n'y avait que du bien, alors nous serions « dans la demeure éternelle de l'Etre suprême »)
      * énonce des vérités : présent de vérité générale + adverbes généralisants (« les méchants … sont toujours malheureux » ; « il n'y a point de mal dont il ne naisse un bien » ; « mais il n'y a point de hasard ; tout est … ou … ou ... »)
      * L'ange explique que le mal est nécessaire car :
      o il sert à « éprouver un petit nombre de justes » (= test pour vérifier si les justes sont vraiment justes : « tout est épreuve ou punition »)
      o De tout Mal naît un Bien
      o sans le mal, « cette terre serait une autre terre » (arg. par l'absurde)

      - En face, Zadig hésite :
      *oppose des objections : chacune de ses répliques commence par « mais » (quatre fois)
      * Mais ses objections ont la forme interrogative : Zadig n'affirme rien, contrairement à l'ange, il s'interroge (« oserai-je te prier de m'éclaircir un doute » + trois phrases interrogatives)
      * Finalement, Zadig « se soumit », non pas grâce aux arguments de l'ange (il oppose un dernier « mais » auquel l'Ange ne répond pas), mais parce que l'ange prend son envol = il perd son interlocuteur ! (Bizarre d'ailleurs, cet Ange qui prend la fuite au lieu de continuer à convaincre Zadig !)
  2. Une morale déiste (= croire en Dieu hors de toute religion ; penser que Dieu a un « plan » pour gérer l'Univers)
    1. Qui est Dieu selon l'Ange (donc selon Voltaire)
      L'ange caractérise l'Etre suprême :
      *il est parfait : « ordre, qui serait parfait [...]demeure éternelle de l'Etre suprême »
      *il n'est que bien : « Etre suprême, de qui le mal ne peut approcher »
      *il est créateur : « il a créé des millions de mondes »
      *il est immensément puissant : « sa puissance immense »
      o champ lexical de la multitude « millions de mondes », « variété », « deux » répété deux fois ;
      o champ lexical de l'immensité : « immense » répété deux fois dans la même phrase, « champs infinis », « embrasse tout », « tout est ... »
      *il est un grand ordonnateur (= met de l'ordre en toute chose) : « tout de que tu vois […] devait être dans sa place et dans son temps »
      *il est comme un père : il teste, punit, récompense, prévoit
    2. Qui est l'homme, par rapport à Dieu ?
      *Zadig utilise un vocabulaire péjoratif pour se désigner lui-même et désigner l'homme en général : « faible mortel » ; « je me défie de moi-même » ; « m'éclaircir d'un doute »
      *L'ange ne fait que confirmer cela :
      o les hommes sont généralement mauvais : « un petit nombre de justes répandus sur la terre »
      o la terre est ridiculement petite : métaphore de l'atome + adjectif « petit » : « le petit atome où tu es né »
      o les hommes pensent mal et croient penser bien (ils sont présomptueux): « les hommes […] jugent de tout sans rien connaître » ; « les hommes pensent que … et que … mais » ; « ce pêcheur qui se croyait »
      o les hommes sont faibles : « faible mortel » (reprend l'expression de Zadig)
    3. L'enseignement de l'ange (et à travers lui, Voltaire lorsqu'il était jeune … il a bien changé ensuite, par exemple dans Candide):
      *Montrer à Zadig qu'il doit se soumettre à la Providence (Orosmade) : « cesse de disputer contre ce qu'il faut adorer »
      *Montrer à Zadig que Dieu sait ce qu'il fait : « il n'y a point de hasard », « il n'y a point de mal dont il ne naisse un bien ».
      *Donner un sens aux aventures de Zadig, éclairer l'oeuvre : la destinée dirige tout.
      *Montrer que tout est voulu et décidé par Dieu, Zadig n'a donc plus qu'à accepter.

      Attention ! Il faut connaître la philosophie de Leibniz (dont s'inspire donc Voltaire jeune) :
      « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes » répète Pangloss, le philosophe de
      Candide, faisant l'écho de Leibniz (dans son Essai de Théodicée)
      Notre monde est le meilleur des mondes possibles ; s'il y a du mal, c'est uniquement parce que de tout mal naît un bien.
      Il n'y a pas de hasard : la destinée est réglée par Dieu. Si le monde nous semble incohérent, c'est parce que nous sommes limités. Mais Dieu sait ce qu'il fait (il est malin, lui !).
      Conclusion : un chapitre clé qui permet à Voltaire d'exposer sa conception de Dieu et sa philosophie de la destinée ; récit d'apprentissage dans lequel Zadig apparaît comme un "élu" de Dieu.

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