mardi 2 avril 2013

Huis Clos, documents complémentaires (ES)

Documents complémentaires, tirés des écrits de Sartre


Documents complémentaires à Huis-Clos



Doc.1 : La genèse de Huis Clos par Jean-Paul Sartre, d'après extrait audio, 1965.


« Quand on écrit une pièce, il y a toujours des causes occasionnelles et des soucis profonds. La cause occasionnelle c'est que, au moment où j'ai écrit Huis clos, vers 1943 et début 44, j'avais trois amis et je voulais qu'ils jouent une pièce, une pièce de moi, sans avantager aucun d'eux. C'est-à-dire, je voulais qu'ils restent ensemble tout le temps sur la scène. […]

Mais il y avait à ce moment-là des soucis plus généraux et j'ai voulu exprimer autre chose dans la pièce que, simplement, ce que l'occasion me donnait. J'ai voulu dire « l'enfer c'est les autres ». Mais « l'enfer c'est les autres » a été toujours mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'était toujours des rapports infernaux. Or, c'est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui et alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres, ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous.

Deuxième chose que je voudrais dire, c'est que ces gens ne sont pas semblables à nous. Les trois personnes que vous entendrez dans Huis clos ne nous ressemblent pas en ceci que nous sommes tous vivants et qu'ils sont morts. Bien entendu, ici, « morts » symbolise quelque chose. Ce que j'ai voulu indiquer, c'est précisément que beaucoup de gens sont encroûtés dans une série d'habitudes, de coutumes, qu'ils ont sur eux des jugements dont ils souffrent mais qu'ils ne cherchent même pas à changer. Et que ces gens-là sont comme morts, en ce sens qu'ils ne peuvent pas briser le cadre de leurs soucis, de leurs préoccupations et de leurs coutumes et qu'ils restent ainsi victimes souvent des jugements que l'on a portés sur eux.
            […] De sorte que, en vérité, comme nous sommes vivants, j'ai voulu montrer, par l'absurde, l'importance, chez nous, de la liberté, c'est-à-dire l'importance de changer les actes par d'autres actes. Quel que soit le cercle d'enfer dans lequel nous vivons, je pense que nous sommes libres de le briser. Et si les gens ne le brisent pas, c'est encore librement qu'ils y restent. De sorte qu'ils se mettent librement en enfer.
          Vous voyez donc que « rapport avec les autres », « encroûtement » et « liberté », liberté comme l'autre face à peine suggérée, ce sont les trois thèmes de la pièce. »

Doc. 2 : Extrait de Les Mots, Gallimard, 1969- Jean-Paul Sartre

(Comment Sartre, enfant, se découvre lui-même en se confrontant au regard impitoyable des autres enfants).

« Sur les terrasses du Luxembourg, des enfants jouaient, je m'approchais d'eux, ils me frôlaient sans me voir, je les regardais avec des yeux de pauvre: comme ils étaient forts et rapides! comme ils étaient beaux! Devant ces héros de chair et d'os, je perdais mon intelligence prodigieuse, mon savoir universel, ma musculature athlétique, mon adresse spadassine; je m'accotais à un arbre, j'attendais. Sur un mot du chef de la bande, brutalement jeté: « Avance, Pardaillan, c'est toi qui feras le prisonnier », j'aurais abandonné mes privilèges. Même un rôle muet m'eût comblé; j'aurais accepté dans l'enthousiasme de faire un blessé sur une civière, un mort. L'occasion ne m'en fut pas donnée: j'avais rencontré mes vrais juges, mes contemporains, mes pairs, et leur indifférence me condamnait. Je n'en revenais pas de me découvrir par eux: ni merveille ni méduse, un gringalet qui n'intéressait personne. Ma mère cachait mal son indignation: cette grande et belle femme s'arrangeait fort bien de ma courte taille, elle n'y voyait rien que de naturel: les Schweitzer sont grands et les Sartre petits, je tenais de mon père, voilà tout. Elle aimait que je fusse, à huit ans, resté portatif et d'un maniement aisé: mon format réduit passait à ses yeux pour un premier âge prolongé. Mais, voyant que nul ne m'invitait à jouer, elle poussait l'amour jusqu'à deviner que je risquais de me prendre pour un nain — ce que je ne suis pas tout à fait — et d'en souffrir. Pour me sauver du désespoir elle feignait l'impatience: « Qu'est-ce que tu attends, gros benêt? Demande-leur s'ils veulent jouer avec toi.» Je secouais la tête: j'aurais accepté les besognes les plus basses, je mettais mon orgueil à ne pas les solliciter. Elle désignait des dames qui tricotaient sur des fauteuils de fer : « Veux-tu que je parle à leurs mamans? » Je la suppliais de n'en rien faire ; elle prenait ma main, nous repartions, nous allions d'arbre en arbre et de groupe en groupe, toujours implorants, toujours exclus. Au crépuscule, je retrouvais mon perchoir, les hauts lieux où soufflait l'esprit, mes songes : je me vengeais de mes déconvenues par six mots d'enfant et le massacre de cent reîtres1. »
     1- Reître = cavalier vétu d'une armure

Doc. 3 : Le théâtre de situation

« On faisait paraître (autrefois) sur la scène des personnages plus ou moins complexes, mais entiers et la situation n'avait d'autre rôle que de mettre ces caractères aux prises, en montrant comment chacun d'eux était modifié par l'action des autres. […] Mintenant, plusieurs auteurs reviennentau théâtre de situation. Plus de caractères : les héros sont des libertés prises au piège, comme nous tous. Quelles sont les issues ? Chauqe personnage ne sera rien que le choix d'une issue et ne vaudra pas plus que l'issue choisie. […] En ce sens, chaque situation est une souricière, des murs partout : je m'exprimais mal, il n'y a pas d'issue à
choisir. Une issue, ça s'invente. Et chacun, en inventant sa propre issue, s'invente soi-même. L'homme est à inventer chaque jour. » (Extrait de Situation II, Qu'est-ce que la littérature ?)
« 
Mais s'il est vrai que l'homme est libre dans une situation donnée et qu'il se choisit lui-même dans et par cette situation, alors il faut montrer au théâtre des situations simples et humaines et des libertés qui se choisissent dans ces situations... Ce que le théâtre peut montrer de plus émouvant est un caractère en train de se faire, le moment du choix, de la libre décision qui engage toute une morale et toute une vie... Et pour que la décision soit profondément humaine, pour qu'elle mette en jeu la totalité de l'homme, à chaque fois il faut porter sur la scène des situations-limites, c'est-à-dire qui présentent des alternatives dont la mort est l'un des termes. »(extrait de Un théâtre de Situation)


Doc. 4 et 5 : Extraits de l'Existentialisme est un humanisme, 1970

Doc 4 : L'Existence précède l'essence :

« Lorsqu'on considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet objet a été fabriqué par un artisan qui s'est inspiré d'un concept ; il s'est référé au concept de coupe-papier, et également à une technique de production préalable qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le coupe-papier est à la fois un objet qui se produit d'une certaine manière et qui, d'autre part, a une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l'objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence — c'est-à-dire l'ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir — précède l'existence ; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée. Nous avons donc là une vision technique du monde, dans laquelle on peut dire que la production précède l'existence.

Lorsque nous concevons un Dieu créateur, ce Dieu est assimilé la plupart du temps à un artisan supérieur ; et quelle que soit la doctrine que nous considérions, qu'il s'agisse d'une doctrine comme celle de Descartesou de la doctrine de Leibniz, nous admettons toujours que […] Dieu, lorsqu'il crée, sait précisément ce qu'il crée. Ainsi, le concept d'homme, dans l'esprit de Dieu, est assimilable au concept de coupe-papier dans l'esprit de l'industriel ; et Dieu produit l'homme suivant des techniques et une conception, exactement comme l'artisan fabrique un coupe-papier suivant une définition et une technique. […]

L'existentialisme athée, que je représente [...] déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'homme. […] Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après.

L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme est seulement, non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan vers l'existence ; l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme.



Doc. 5 : L'homme est condamné à être libre

« Dostoïevsky avait écrit : “Si Dieu n'existait pas, tout serait permis.” C'est là le point de départ de l'existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n'existe pas, et par conséquent l'homme est délaissé, parce qu'il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s'accrocher. Il ne trouve d'abord pas d'excuses. Si, en effet, l'existence précède l'essence, on ne pourra jamais expliquer par référence à une nature humaine donnée et figée ; autrement dit, il n'y a pas de déterminisme, l'homme est libre, l'homme est liberté. Si, d'autre part, Dieu n'existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. Ainsi, nous n'avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine numineux1 des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est condamné à être libre. Condamné, parce qu'il ne s'est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre, parce qu'une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait. »



1- Numineux = sacré

 

Comprendre les documents :

Doc 1 :
1) Quelle phrase philosophique majeure Huis-Clos illustre-elle ?
2) Pourquoi Sartre doit-il expliquer cette phrase ?
3) Parmi les affirmations suivantes, lesquelles correspondent à la pensée de Sartre :
    a- notre rapport à autrui nous aliène (= enferme, emprisonne) toujours.
    b- notre rapport à autrui peut aliéner certaines personnes.
    c- nous pouvons avoir des rapports sains avec les autres.
    d- nous dépendons totalement du jugement des autres.
    e- si nous nous conformons au jugement des autres, nous sommes aliénés.
    f- si nous ne prenons pas en compte le jugement des autres, nous sommes aliénés.
4) Pourquoi est-il important que les personnages de la pièce soient morts : que ne peuvent-ils plus faire que nous, vivants, pouvons faire ? Quelle concept leur manque-t-il ?

Doc 2 :
1) L'enfant, ici, est confronté au regard des autres, mais ces « autres » sont de deux types, lesquels ?
2) Quel regard portent les autres sur lui ?
3) Relever en 2 colonnes les expressions désignant d'une part ce que l'enfant croit et veut être, d'autre part la façon dont les autres enfants le considèrent.
4) Pourquoi peut-on dire que cette expérience a été importante dans la philosophie de Sartre ?

Doc 3 :
En quoi le théâtre de « situation » s'oppose-t-il au théâtre psychologique ?

Doc 4 :
1) A qui est comparé Dieu ? Et l'homme ? Expliquer la comparaison.
2) Si Dieu n'existe pas, à quel moment l'homme peut-il être défini ? Qu'est-ce qui permet de le définir ?

Doc 5 :
Quelles sont les deux conséquences de la non-existence de Dieu ?




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