dimanche 24 février 2013

Huis-Clos, LA1, l'exposition

  1. Une exposition brouillée...
    1. Un lieu à la fonction incertaine
      • didascalie de décor bourgeois tape-à-l'oeil (Second Empire + cheminée + bronze de barbedienne)
      • Lexique de l'hôtellerie : « garçon d'étage », « chambres », « Chinois », « Indous », « clients » => hôtel de renommée internationale
      • Mais malaise concernant ce lieu : il est désigné par des pronoms impersonnels ou des adverbes « c'est » ou « ça »p.13, « tout ça » p.14 « mis les pieds ici » « y » p.14
      • Ces pronoms sont précédés, suivis, voire remplacés par (p.14 : « je ne me serais pas attendu... ») des points de suspension (p.13 et 14) => hésitations concernant ce lieu qu'on n'arrive pas à nommer ! Et qui ne sera d'ailleurs jamais nommé dans cette scène.
      • Le lieu pourtant se précise p.15 grâce à Garcin évoquant dans une accumulation des objets symbolisant l'enfer dans la représentation chrétienne (instruments de torture + feu + gavage)
      • Mais lieu immédiatement mis en doute par la question ironique du garçon qui met le lecteur / spectateur dans l'incertitude : « Vous voulez rire ? » => on ne sait pas vraiment où on est.
      • Même l' « ailleurs » ne renseigne pas sur le lieu présent : on évoque un « là-bas » p.14, des « personnes qui n'ont jamais mis les pieds ici », mais de ce « là-bas », on ne sait rien : sinon qu'il est lié au passé.
      • On évoque également un « dehors » p.18, mais qui semble ébranler le garçon ; ce « dehors » est lui aussi mis en relation avec le temps : « un jour de sortie ».

=> un hôtel ? Un lieu dérangeant ? L'enfer ? Un lieu défini en creux par un « ailleurs » qui appartient au passé...

    1. Une temporalité tout aussi étrange
      • L'ailleurs est donc lié au passé : p. 14, Garcin utilise l'imparfait : « j'étais », « je vivais », etc. ce qui implique qu'il n'y est plus et n'y vit plus.
      • Le garçon, au contraire, utilise le futur en lien avec le lieu présent: « vous verrez » (p.14) ; plus loin, Garcin lui-même utilise le futur en évoquant le bronze : « il y a certains moments où je regarderai » (p.16) => on comprend que Garcin est amené à rester ici un certain temps.
      • On ignore pour quelle durée, rien ne le précise. Etrangeté de cette absence d'indication temporelle.
      • La chronologie elle-même est effacée, rien ne la marque : absence de nuits (lumière allumée en permanence), de sommeil (p.16 : « on ne dort jamais »), de clignement d'oeil => « c'est la vie sans coupure » (p.17).
    2. Le mélange de registres
      • tragique : la scène de la noyade, la nostalgie de l'endormissement
      • ironique : certaines répliques du garçon (« c'est formidable » ou « quel romanesque ») ou dans la scène de la noyade, la référence au bronze de barbedienne, suivie de « quel cauchemar »
      • fantastique : pas de sommeil, pas de paupières, pas de nuit, pas de « dehors »
Cl) Une exposition qui ne remplit pas tout à fait sa fonction, car on ignore encore dans quel lieu on est (le mot « enfer n'est jamais prononcé »), on ignore totalement ce qui va s'y passer, on n'est en présence que de 2 personnages, sans qu'il soit fait mention des autres, ceux qui pourtant vont jouer un rôle essentiel dans la pièce (les deux femmes). Univers fantastique.

  1. ...Et des personnages au rôle imprécis...
    1. Un Garçon d'étage ironique
    • Il est celui qui répond aux questions, celui qui « sait ».
    • Physiquement, on sait de lui qu'il a les paupières « atrophiées », selon Garcin.
    • Psychologiquement, on connait aussi de lui ce qu'en dit Garcin p.17 : « indiscrétion grossière et insoutenable »
    • Il manifeste de l'ironie à l'égard de Garcin à travers des question rhétoriques exprimant son mépris : « qu'est-ce que vous voulez qu'ils fassent » p.14, « comment pouvez-vous croire » p.14, « vous voulez rire » p.15, « est-ce que vous ne pouvez pas réfléchir » p.16
    • son ironie est aussi visible par des antiphrases exclamatives : « c'est formidable » p.15, « que vous êtes romanesque » p.17 + didascalie « ironique » p.20
    • Il est aussi parfois déférent et reprend son rôle de garçon : « excusez-moi » p.15, « si vous n'avez plus besoin de moi » p.20, « à votre service » p.21.
    • Il semble ignorant des coutumes de la vie : il ne comprend pas lorsque Garcin évoque les coupures de la vie p.17 : « quelle coupure ? » + ne comprend pas la référence à ses paupières atrophiées : « Mais de quoi parlez-vous ? » + pour lui, le jour = les lampes allumées p.18 + didascalie le décrivant « ahuri » lorsque Garcin évoque un « dehors », il pose même une question signifiant son incompréhension : « dehors ? »
=> Il incarne à la fois celui qui présente les lieux et les habitudes de la maison, et celui qui juge d'après sa propre expérience. Il est étrange, méprisant et déférant, savant et ignorant.

    1. Garcin, entre excès de confiance et naïveté
    • Pose des questions (nombreuses phrases interrogatives)
    • Mais se veut lucide: « je pense qu'à la longue » p.13, « je n'ignore rien de ma position » p.15, « j'imagine qu'il y a certains moments » p.16, « on vous a sans doute défendu » p.16, « on ne me prend pas au dépourvu » p.16, « je l'aurai parié » p.16, « voulez-vous que je vous raconte comment cela se passe ? » p.16, « j'en étais sûr » p.17 => prétentieux ?
    • Qualifié de « romanesque » par le garçon p.17, car évoque le plaisir de l'endormissement, puis le plaisir du battement de paupière (« rafraichissant, évasions, douillet, prairies ») p.17-18
    • Nerveux, passe d'un état d'esprit à un autre : se met en colère (didascalies : « violence subite » p.15, « avec colère » p.15), bouge beaucoup (« Il se promène » P.15, « frappant sur le bras du fauteil » p.15, « Il reprend sa marche » p.16, « sursautant » p.20, etc.).
    • Naïf et ignorant : Imaginait l'enfer comme l'imagerie populaire l'enseigne, avec instruments de torture (p.15) + se méprend sur absence de glaces et vitres : « rien de fragile » (p.15) ... car enfin, puisqu'il est mort, qu'est-ce que ça pourrait bien faire qu'il y ait des objets tranchants... il ne pourra plus se suicider !
    • Semble se sentir coupable : personnification de la « situation » l.66 => peur d'être pris par derrière.
=> Semble tout savoir mais au fond, cette assurance masque sa nervosité et son angoisse de la solitude.

    1. Un spectateur « hors du coup »
Multiples sous-entendus partagés par le graçon et Garcin, qui mettent le spectateur hors du coup :
    • le « ça » du lieu et le « là-bas » semblent connus des deux personnages, alors que le lecteur ignore encore de quoi il s'agit
    • didascalie p.15 : « ils rient tous les deux » => spectateur exclu de cette complicité.
    • « ma position » repris plusieurs fois par Garcin : il dit n'en rien ignorer, tout comme le garçon, alors même que le spectateur ne voit pas de quoi il s'agit.
    • « naturellement » p.15 => partage une évidence avec le garçon, qu'on ne comprend pas.
    • Multiples points de suspensions au début du passage qui indiquent des sous-entendus partagés par les deux personnages.

Cl) Les deux personnages entretiennent une relation chaotique, tantôt ils sont complices, tantôt Gracin se positionne au-dessus du garçon, et tantôt, c'est le garçon qui se positionne au-dessus de Garcin. Le spectateur / lecteur, lui, se sent exclut de ce duo qui a l'air de se comprendre.

  1. ...Dessinent l'enfer sartrien
    1. La fonction absurde des objets
    • Absence d'objets : lit, brosse à dents, livres, miroir => absence de sommeil, de dignité humaine, de divertissement, de vision extérieure à nous-même.
    • Objets rendus inutiles : sonnette en panne, coupe-papier sans livres => les objets ont perdu leur sens,
    • Absence d'objets attendus : pals, grils, entonnoirs
    • Objets encombrants : lampe électrique, bronze de barbedienne
    1. L'enfermement et l'exclusion
  • le tite : « huis-clos » = confrontation entre des personnes isolées du monde extérieur
  • pas d'ailleurs accessible : le seul « dehors possible » = le reste de cet « hôtel », un labyrinthe de couloirs et de chambres. Or le labyrinthe = image des dédales de la conscience, de soi-même avec ses côtés obscurs.
  • Absence d'ouverture sur le monde : pas de fenêtre, sonnette en panne régulièrement, pas de lumière naturelle, pas de retour en arrière possible (personne n'a jamais mis les pieds ici comme le rappelle le garçon p.14)
  • Une seule pièce, pas de porte.
  • Pas d'échappatoire possible par le rêve (l.97), ni (hors extrait :) par les livres. On est seul face à soi-même, sous la lumière crue de la prise de conscience.
    1. Le regard, la lumière, la vérité
    • Regard de soi-même : sur ce qui entoure (c'est par l'oeil de Gracin que le spectateur découvre la pièce), sur l'autre (c'est par l'oeil de Garcin que l'on sait à quoi ressemble le garçon ; c'est aussi à travers son regard que l'on découvre un aspect de sa personnalité)
    • Regard de l'autre : qui distille les informations comme bon lui semble (le garçon est très peu loquace sur le reste de « l'hôtel »)
    • L'absence de regard sur soi-même : pas de miroir ! => on ne se voit pas, on ne se regarde pas en tant qu'objet, on ne doit se regarder qu'en temps que sujet : cf. la lumière qui ne s'éteint jamais et les remarques de Garcin : « vivre les yeux ouverts » répété à 2 reprises et « je regarde la situation en face » et surtout p.20 : « Il fera grand jour dans mes yeux. Et dans ma tête » => l'enfer c'est d'abord se regarder soi-même sans coupure et sans rien cacher, d'où cette question de Garcin : « comment pourrai-je me supporter  ? »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire