Blason du beau tétin (extrait)Tétin refait, plus blanc qu'un oeuf,
Tétin de satin blanc tout neuf, Toi qui fais honte à la rose, Tétin plus beau que nulle chose, T
étin dur, non pas tétin voire Mais petite boule d'ivoire Au milieu duquel est assise Une fraise ou une cerise Que nul ne voit, ne touche aussi, Mais je gage qu'il en est ainsi. Tétin donc au petit bout rouge, Tétin qui jamais ne se bouge, Soit pour venir, soit pour aller, Soit pour courir, soit pour baller, Tétin gauche, tétin mignon, Toujours loin de son compagnon, Tétin qui portes témoignage Du demeurant du personnage, Quand on te voit, il vient à maints Une envie dedans les mains De te tâter, de te tenir : Mais il se faut bien contenir D'en approcher, bon gré ma vie, Car il viendrait une autre envie. Ô tétin, ni grand ni petit, Tétin mûr, tétin d'appétit, Tétin qui nuit et jour criez « Mariez moi tôt, mariez ! » Tétin qui t'enfles, et repousses Ton gorgias de deux bons pouces : A bon droit heureux on dira Celui qui de lait t'emplira, Faisant d'un tétin de pucelle, Tétin de femme entière et belle. (1) refait : nouvellement formé
(2) voire : qui n'est pas, à vrai dire, un tétin (3) baller : danser (4) demeurant : de tout le reste de la personne (5) trois syllabes (6) décolleté, haut de la robe, corsage Blason du du Laid Tétin
Tétin qui n’as rien que la peau,
Tétin flac, tétin de drapeau,
Grand’tétine, longue tétasse,
Tétin, dois-je dire: besace ?
Tétin au grand bout noir
Comme celui d’un entonnoir,
Tétin qui brimballe à tous coups,
Sans être ébranlé ne secous.
Bien se peut vanter qui te tâte
D’avoir mis la main à la pâte.
Tétin grillé, tétin pendant,
Tétin flétri, tétin rendant
Vilaine bourbe en lieu de lait,
Le Diable te fit bien si laid !
Tétin pour tripe réputé,
Tétin, ce cuidé-je, emprunté
Ou dérobé en quelque sorte
De quelque vieille chèvre morte.
Tétin propre pour en Enfer
Nourrir l’enfant de Lucifer ;
Tétin, boyau long d’une gaule,
Tétasse à jeter sur l’épaule
Pour faire – tout bien compassé -
Un chaperon du temps passé,
Quand on te voit, il vient à maints
Une envie dedans les mains
De te prendre avec des gants doubles,
Pour en donner cinq ou six couples
De soufflets sur le nez de celle
Qui te cache sous son aisselle.
Va, grand vilain tétin puant,
Tu fournirais bien en suant
De civettes et de parfum
Pour faire cent mille défunts.
Tétin de laideur dépiteuse,
Tétin dont Nature est honteuse,
Tétin, des vilains le plus brave,
Tétin dont le bout toujours bave,
Tétin fait de poix et de glu,
Bren, ma plume, n’en parlez plus !
Laissez-le là, ventre saint George,
Vous me feriez rendre ma gorge.
Vous faites voir des os quand vous riez, Hélène,
Dont les uns sont entiers et ne sont guère blancs ;
Les autres, des fragments noirs comme de l'ébène
Et tous, entiers ou non, cariez et tremblants.
Comme dans la gencive ils ne tiennent qu'à peine
Et que vous éclatez à vous rompre les flancs,
Non seulement la toux, mais votre seule haleine
Peut les mettre à vos pieds, déchaussez et sanglants.
Ne vous mêlez donc plus du métier de rieuse ;
Fréquentez les convois et devenez pleureuse :
D'un si fidèle avis faites votre profit.
Mais vous riez encore et vous branlez la teste !
Riez tout votre soul, riez, vilaine bête :
Pourvu que vous creviez de rire, il me suffit.
Paul Scarron (1610-1660)
L'Union Libre
Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d'éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de
dernière grandeur
Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d'ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d'hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant
Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle
Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d'allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d'as de coeur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d'écume de mer et d'écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d'initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
Ma femme au cou d'orge imperlé
Ma femme à la gorge de Val d'or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d'amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque
Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu
André Breton (1896-1966), extrait de Clair de terre,1931
Les Yeux d'Elsa
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés
Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure
Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé
Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche
Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux
L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août
J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes
Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa
Louis Aragon, Extrait de "Les Yeux d'Elsa"